Une très belle année

« Chers amis,
 
Je vous adresse mon salut fraternel, alors que vient la fin de l’année 2014. C’est aussi le moment de vous donner le bilan de cette année qui s’achève.
 
Le peuple d’Akamasoa et moi, avons vécu une très belle année. Oui ! Une très belle année, car un seul événement est venu tout changer : il nous a reposé des fatigues endurées pour vaincre les difficultés qui ne manquent jamais, et il a fait envoler le souvenir des peines qui nous assaillent, puisque, immanquablement, il en est tant chaque année. Oui, nous avons eu le bonheur de vivre un moment d’une intensité indescriptible ; un moment privilégié de grâce et de bénédiction. Voilà : le 19 octobre dernier nous fêtions les 25 ans d’Akamasoa !
 
Les plus anciens se souvenaient de tout ce qu’il a fallu faire en un quart de siècle pour accompagner des milliers et des milliers de gens en dehors de l’extrême pauvreté ! Au début, nous n’avions aucune idée de ce que nous allions endurer ! Très souvent, on nous a dit : ‘’votre défi est impossible !’’. Pourtant cette aventure humaine et spirituelle fut possible ! Nous humains, disons ‘’c’est extraordinaire’’, mais pour Dieu, à qui nous avons confié nos vies, tout est possible ! Oui, nous avons vu que Dieu ne nous a jamais laissés seuls.
 
Après des mois de préparation soigneuse, joyeuse et affectueuse, comme pour organiser une noce, cette fête fut une journée de grande émotion : émotion pour rendre grâce à Dieu et émotion de dire notre gratitude à tous nos amis d’ici et d’à travers le monde.
 
Le matin, des milliers de personnes ont assisté à la messe d’action de grâces. Même le Président de la République, monsieur Hery Rajaoarimampianina et son épouse, nous ont honorés de leur présence, ainsi que huit ministres et autant de conseillers spéciaux. Certes, la présence du Président de la République était impressionnante pour le peuple d’Akamasoa et les 12.000 enfants scolarisés, mais voici ce qu’il a déclaré à la fin de la Célébration : « J’ai désiré venir pour vous encourager. En fait, c’est vous qui, pendant cette messe qui a duré 3 heures, m’avez encouragé à redoubler mes forces pour m’occuper des 22 millions de malagasy à travers tout le Pays et les faire sortir de la souffrance ! ».
 
L’après-midi, il y eut un spectacle de mouvements d’ensemble exécuté par 4.000 élèves et 1.000 ouvrières et ouvriers d’Akamasoa. La fierté et la joie des exécutants, en particulier des enfants, étaient magnifiques. Dans les tribunes, beaucoup de ceux que nous aimons étaient là et ils n’ont pas boudé leur admiration et leur affection pour notre Œuvre, en particulier l’Archevêque d’Antananarivo, Mgr. Odon Marie Arsène Razanakolona, le Nonce Apostolique, Mgr. Eugène Martin Nugent, et le Maire de la Ville d’Antananarivo, M. Ny Hasina Andriamanjato.
 
Tout humain vit de rêves, de belles histoires et de beaux souvenirs. Alors, je forme le vœu que la fête-anniversaire de nos 25 ans soit un souvenir impérissable dans le cœur de nos enfants, des parents et des grands-parents qui sont le peuple d’Akamasoa. Bien sûr, notre fête ne fait pas oublier les énormes problèmes que depuis 25 ans nous avons affrontés. Et cette année 2014 n’a pas été facile !
 
Je dois le dire encore, et encore : le peuple d’Akamasoa ne vit pas sur une petite île isolée de la Grande Ile ! Les difficultés du Pays nous frappent comme tous les malagasy. L’espoir de changement politique, économique et social que le peuple malagasy espérait, a une nouvelle fois été déçu. Malheureusement, l’aide internationale, hélas indispensable pour commencer à changer le quotidien des citoyens, n’est pas arrivée, hormis quelques aides humanitaires d’urgence. Mais ce furent quelques gouttes dans l’immense océan de la misère qui a envahi l’Île ! Je le dis avec toute la force de ma voix, parce que c’est une énorme douleur : jamais, jamais je n’ai vu une telle pauvreté partout à Madagascar ! Jamais, je n’ai pu imaginer que Madagascar connaîtrait un tel effondrement économique, social et politique.
 
Lecteurs, pouvez-vous imaginer ce que signifie un Pays où 9 Malgaches sur 10 vivent aujourd’hui en-dessous du seuil de pauvreté ? – selon le diagnostic de la Banque Mondiale. Ce sont les enfants qui paient le plus lourd tribut à cette descente dans l’enfer de la pauvreté : la malnutrition aigüe a augmenté de 50 % en quelques années.
Dans la capitale, la peste a réapparu, et officiellement il y a quelques semaines, on a dénombré 47 morts et 152 cas suspects. Qu’en est-il véritablement ? Cette maladie, qui est celle de l’extrême pauvreté, est revenue avec les tonnes d’ordures en putréfaction abandonnées dans les rues d’Antananarivo, dont les rats se nourrissent avec avidité. Les rats mangent et les humains sont dénutris, dans l’indifférence totale ! Et je n’entends personne, des politiciens et des fonctionnaires, s’insurger contre ce scandale là et exiger que les responsables de l’hygiène publique agissent ! Des fantômes viendront-ils ramasser les ordures et nettoyer les rues et les places de la ville ? Les vieillards sont de plus en plus démunis puisque leurs enfants et petits-enfants le sont de plus en plus eux-mêmes, et les jeunes mamans, abandonnées ou veuves, sont de plus en plus nombreuses à disputer les ordures aux rats !
 
Ce spectacle que j’avais découvert limité à la décharge il y a 25 ans est maintenant répandu dans toute la ville : quelle effroyable régression ! Et puis il y a aussi l’insécurité qui n’a jamais été aussi grande dans les villes et les campagnes, où quasiment tous les jours il y a des vols à main armée et des attaques pour terroriser les gens. Selon les média, 4.000 bandits de grands chemins ont déclaré se convertir à la paix. Est-ce vrai et cela contribuera-t-il à restaurer la tranquillité que tout le monde désire, en particulier les paysans pauvres qui sont sans cesse pillés ? Les 87 plus forts prospèrent et les faibles, qui n’ont jamais été aussi nombreux, périssent silencieusement ! Voilà où nous en sommes : il n’y a pas eu la volonté politique déterminée et inébranlable de s’attaquer explicitement et sans hésitation à tous ces maux qui paralysent la vie économique et sociale et qui empêchent tout vrai progrès du Pays !
 
Ce pays de cocagne a été mené à la ruine ! Les astuces politiciennes sont sans fin pour faire croire que la réconciliation et le changement sont pour bientôt. Les années continuent à passer, et l’égoïsme, la gabegie et la corruption des puissants ont envahi et maintenant pourri très profondément tout le Pays. La classe politique a persisté dans ses querelles dérisoires, incessantes et totalement affligeantes. Après l’élection présidentielle, l’année 2014 n’a rien apporté de bon. Alors, parce que pour vivre il faut espérer, le peuple malagasy a, encore une fois, reporté son espoir sur l’année suivante : 2015, mais qui demain sera là ?
 
Je sens de manière intense que si le changement ne commence pas à advenir, alors on doit redouter le pire ! Oui, le pire, car je sais que les malagasy sont exténués par toutes les souffrances qui les accablent depuis tant années ! Oui, je sens que sa patience à attendre pourrait bien céder sous les forces du désespoir… Alors, il pourrait bien ne plus y avoir d’excuses, car le peuple malagasy est maintenant complètement épuisé d’attendre que les promesses deviennent réalité.
Pour notre part, chers amis, nous avons continué à travailler inlassablement, et nous avons pu encore réaliser cette année de nombreux projets pour le bien de la population la plus délaissée! Voici nos réalisations de l’année 2014.
 
Conclusion – le travail continue…
 
Les Pays pauvres et les organisations multilatérales d’aide au développement attendaient l’année 2015 avec impatience : c’est le rendez-vous de tous les espoirs du développement et d’une grande joie mondiale, puisqu’il avait été décidé en septembre de l’année 2000 que les ‘’Huit Objectifs du Millénaire pour le Développement’’, supportés par les Nations Unies, permettraient de diminuer de moitié la pauvreté sur notre Planète. Grande et belle ambition, certes ! Rêve ?… Illusion ?…
Voici ce que le président de la Banque Mondiale, monsieur Jim Yong Kim, déclarait en avril 2013 : « Nous avons fait de remarquables progrès pour ce qui est de réduire le nombre de ceux qui ont moins de 1.5 dollar par jour pour vivre dans le monde en développement, mais qu’il y ait encore 1.2 milliard personnes en situation d’extrême pauvreté est un fait qui souille notre conscience collective ». Et il ajoutait : « Ce chiffre doit servir de cri de ralliement à la communauté internationale pour 88 qu’elle passe à l’échelon supérieur dans la lutte contre la pauvreté. Notre propre travail d’analyse et de conseil peut contribuer à montrer la voie à suivre en vue de mettre fin à l’extrême pauvreté d’ici 2030, en montrant où se situent les pauvres et où la pauvreté est la plus prononcée ».
 
Ainsi, faut-il reconnaître avec humilité que l’Objectif du Millénaire n’a pas été atteint, particulièrement en Afrique où, plus que partout ailleurs dans le monde sévit l’extrême pauvreté, quand bien même, globalement, le taux de croissance du Continent est un des plus élevés de la Planète. Quant à nous, à Madagascar, nous continuons de vivre avec la pauvreté extrême devant nos portes et sous nos yeux, tous les jours !
 
Comment ne pas voir que la pauvreté est en réalité une maladie chronique, c’est-à-dire persistante et accablante, pour prendre la définition médicale ? Le Premier Millénaire du développement a duré 15 ans. Voici maintenant l’horizon 2030 annoncé : 15 nouvelles années supplémentaires ! Jusqu’à quand cela ?… Et, pendant ce temps, nombreux sont toujours ceux qui nient la pauvreté et les pauvres sur notre Terre en produisant des rapports inexacts et généralement trop optimistes pour diminuer la pauvreté ! Je crois que ces ‘’experts’’ échafaudent des rêves… Ne rêvent-ils pas de leur propre succès de carrière ?… Mais se préoccupent-ils des rêves des pauvres qui sont souvent pratiques et concrets ?
 
La fièvre Ebola vient nous rappeler la vérité d’une réalité : les pays pauvres n’ayant pas pour eux-mêmes les moyens de faire obstacle à cette maladie qui ne connaît pas les frontières, les pays riches ont réagi au plus vite pour empêcher que l’épidémie envahisse l’hémisphère nord ! C’était leur propre intérêt. Ainsi, parce qu’il y avait un grand danger, alors les pays riches ont trouvé les moyens d’agir. Cette réalité-là est parfaitement cynique : c’est le résultat d’une montagne d’égoïsme : menacés, les riches trouvent !
 
C’est pourquoi, je doute absolument que le vœu du PNUD, figurant dans un de ses récents rapports sur le développement publié le jeudi 24 juillet 2014, de voir financer ‘’une protection sociale de base aux pauvres du monde entier [qui] coûterait moins de 2 % du PIB mondial’’ soit un jour réalisé tant que les pays riches et les sociétés multinationales continueront de poursuivre un progrès matériel qui endort la conscience humaine de l’immense majorité de leurs citoyens devenus d’avides consommateurs hédonistes et idolâtres de la vie facile ! Ce progrès matériel d’une très, très petite partie de l’Humanité, qui n’a jamais accru ou assuré celui de la fraternité humaine, est acquis au prix d’une dilapidation sans remord des ressources naturelles et de la dégradation du climat de la Planète, comme si nous avions plusieurs Terre de rechange. Pendant ce temps, l’Afrique des pauvres se bat à longueur de journée pour essayer de survivre dans des conditions de vie insupportables.
 
Malgré toute l’intelligence et les sciences de l’Hémisphère Nord, ses dirigeants et les peuples continuent à rouler et à vivre comme il y a un siècle, et du coup toute 89 la Planète vit comme si le moteur de l’économie devait être alimenté par le profit qui pousse à l’appropriation toujours plus grande de l’argent et, ce faisant, à la domination d’une minorité qui décide du sort de l’économie du monde et monopolise l’essentiel de ses richesses : 10 % des plus riches détiennent 86 % des richesses mondiales et 1 % possède la moitié de la richesse de la Planète (Données respectivement issues du Global Wealth Report du Crédit Suisse et du World Economic Forum de Genève dans une note publiée le 21 janvier 2014). Au regard de l’immensité de la pauvreté dans le monde, peut-on réellement être convaincu que la plupart des dirigeants politiques et économiques aient le sentiment du respect dû à la dignité de l’homme, et le souci de la philanthropie et de l’esprit de service pour le Bien Commun de tous les humains de notre Terre ? Il est temps que cesse l’hypocrisie dans les pays riches et dans les pays pauvres aussi. La réalité est aujourd’hui que le combat contre la pauvreté est marginal ; autant dire que c’est un accessoire de la bonne conscience. Il n’est pas douteux que la pauvreté ne pourra jamais être frontalement combattue et alors réduite, et cela à chaque génération, tant que le progrès social ne sera pas mesuré à l’aune de la solidarité économique, dont le nom venu avec Jésus et, avant Lui, avec l’Ancien Testament, est la fraternité.
 
N’est-il pas temps de faire partout prendre en considération qu’il ne sera d’authentique développement humain que d’une économie de solidarités entre tous les hommes de la Planète et de la gestion parcimonieuse de l’environnement naturel qui assurera l’héritage des générations futures.
 
Le pape François ne cesse de nous rappeler toutes ces vérités si simples mais combien difficiles à accepter et à mettre en pratique tous les jours.
A Akamasoa, depuis 25 ans nous voulons chaque jour vivre dans un esprit de fraternité, en pratiquant la sobriété et le partage, c’est-à-dire dans une économie au service de l’homme ; une économie solidaire / fraternelle, qui redonne l’envie de vivre, de progresser et d’être acteur de sa propre vie : de son histoire personnelle et familiale. Jamais je ne dirai que cela est facile, bien au contraire ! Cela exige que chacun se convertisse tous les jours pour faire échec aux tentations de toutes les facilités !
 
Nous pouvons sentir et voir dans les villages d’Akamasoa beaucoup de respect, de solidarités et de gestes fraternels, qui font fleurir de la joie ; cela ne se rencontre pas souvent dans la grande Ville ou ailleurs ! Mais cela ne nous fait pas rêver béatement. Nous savons combien tout ce que nous avons construit est fragile, comme l’est l’homme et ses réalisations ! Alors, nous savons que nous devons défendre tout ce que nous avons pu faire de bien avec toutes nos forces, bec et ongles ! C’est pourquoi, nous restons toujours éveillés et debout avec les pieds sur terre ! Nous avons gagné des batailles contre la pauvreté, mais pas encore la guerre ! C’est pour cela qu’il nous est interdit de nous endormir ou de nous satisfaire et moins encore de nous extasier sur les beaux souvenirs de nos petites victoires sur l’égoïsme, le mal, le laisser-aller et le chacun pour soi ! Chers amis lecteurs, avec votre attentive et bienveillante amitié, avec votre aide fraternelle qui est participation financière et / ou matérielle concrète à notre Œuvre de Solidarité en faveur des laissés pour compte de Madagascar, nous sommes toujours autant décidés à continuer à nous battre durant cette nouvelle année 2015 pour conforter l’espérance du peuple d’Akamasoa et aussi souvent redonner de nouveaux espoirs et de nouvelles forces à bien de nos jeunes souvent désorientés par les mauvais exemples qu’ils voient au sommet de presque toutes les Institutions de la société et toutes les tentations chimériques de la vie facile affichée avec des images artificielles et irréelles de la télévision qui nous arrivent des vanités et mondanités humaines !
 
Les pays riches et les pays pauvres, doivent faire face solidairement pour amener leurs jeunes générations à chercher et découvrir le véritable sens de la vie et donc les bonnes et belles raisons d’espérer et de vivre. Ce combat-là est le seul moyen d’inciter la jeunesse à faire échec aux tentations de l’abandon, aux débauches de toutes sortes qui rendent esclaves d’une vie d’apparence et donc artificielle. Le plus grand danger qui a toujours menacé les hommes, et qui est aujourd’hui extraordinairement puissant en raison des nouvelles technologies de l’information et de la communication, est celui d’une vie personnelle et sociale vide de la transcendance de l’homme en sa qualité unique d’enfant de Dieu ; cette transcendance qui est la seule et unique source de la dignité humaine. Le pape François a fortement rappelé cela lors dans son discours aux membres du Conseil de l’Europe à Strasbourg, le mardi 25 novembre 2014 : il n’est de dignité de l’homme que de la transcendance de sa vie !
 
Ce combat pour la dignité humaine ne s’achèvera jamais. Chaque génération devra lutter pour vivre non seulement économiquement mais aussi humainement et spirituellement. L’économie n’est qu’un moyen de vivre dans une vie digne et spirituelle qui seule donne la vraie saveur d’une existence toute consacrée pour le service fraternel du bien commun et du bien commun pour tous !
 
A Akamasoa nous sommes confrontés à la très grande et magnifique responsabilité d’instruire et d’éduquer 12.000 enfants et jeunes arrachés et sauvés de la rue où la pauvreté les avait jetés, pour qu’ils retrouvent le chemin de la vérité, de l’engagement, de la responsabilité et de la solidarité ! C’est dans cette mission d’instruction et d’éducation que se joue l’avenir. C’est vrai pour nous comme cela est vrai partout dans le monde, que l’on soit un pays riche ou un pays pauvre. Je ne connais rien de plus difficile que cette mission-là : elle est grave et sublime !
 
Chers amis d’Akamasoa, pardonnez-moi d’avoir pris beaucoup de votre temps avec cette conclusion.
Je vous dois tant pour vos aides et vos encouragements incessants ! Ma gratitude ne peut qu’être sans limite, parce que je sais que vous continuerez, à nos côtés, à porter avec affection, respect et discrétion notre action et nos projets au service de la construction de la justice par le partage des fruits du travail et de la fraternité. Je ne redirai jamais assez que grâce à vous, Akamasoa est un oasis d’espérance pour des milliers d’enfants et leurs familles, parce que rien n’est impossible à celui qui aime et qui croit en l’homme et en son Créateur. »