Les héroïnes malagasy

Le travail, c’est la dignité humaine.

Tous les jours, en sortant dans les rues du village d’Akamasoa, je n’entends qu’une seule complainte : « mompera, omeo asa » (mon père, donne-moi du travail).

Ce sont des dizaines d’hommes, de femmes et de jeunes qui quotidiennement me lancent ce cri de secours afin d’avoir un travail, bien sûr rémunéré, et de pouvoir survivre avec leur famille.

Il est vrai qu’en entendant, tous les jours et depuis des années ce cri, à la fin, j’ai fini par avoir peur de sortir dans les villages, sachant à l’avance que chaque fois que je croiserai un homme, une femme ou un jeune,  il me demandera du travail.

Mais en même temps, je me souviens des débuts d’Akamasoa il y a 27 ans, quand les parents qui vivaient dans l’extrême pauvreté, dans la rue et sur la décharge, me demandaient uniquement de l’argent : « mompera, omeo vola » (mon père, donne-moi de l’argent).

Ce sont plusieurs années de formation et de conscientisation réalisées à Akamasoa à tous les niveaux, dans les écoles, les réunions du Fokonolona, les prières et les messes, qui ont été nécessaires pour faire comprendre à nos frères et sœurs de la rue, que pour vivre il fallait travailler, et que pour avoir de l’argent, il fallait d’abord avoir un travail.

La tête quelques fois fatiguée par ces demandes incessantes, je m’écrie : « mais c’est au Ministre du travail que vous devriez vous adresser ! Car moi, je ne suis ni un entrepreneur, ni un chef d’entreprise ! »

Mais je suis en même temps heureux au fond de moi-même, car je sais que ces frères et sœurs, parce qu’ils ne me demandent plus simplement de l’argent, mais du travail, ont retrouvé leur dignité d’êtres humains.

Dieu seul sait le chemin parcouru par ces personnes pour comprendre que vivre dans la dignité, c’est vivre debout, avoir du travail, un logement et l’éducation pour ses enfants !

C’est en tenant compte de l’importance primordiale du travail pour regagner une dignité d’homme, de femme, que nous avons créé à Akamasoa des emplois d’urgence pour donner une occupation à quelques milliers de personnes, afin qu’elles puissent survivre.

C’est le but de toutes mes sorties du pays, de toutes mes tournées en France et en Europe. Où que je sois invité, mon premier souci est de trouver l’aide financière pour que ces hommes et ces femmes puissent continuer à avoir un travail et une petite rémunération à la fin de la semaine, qui leur permettent de tenir la tête hors de l’eau, en attendant des jours meilleurs, lorsque l’Etat prendra à bras le corps la responsabilité de créer des emplois et d’appeler les investisseurs à investir dans cette belle île de Madagascar.

Car il faut le dire haut et fort et le faire savoir : les pères et mères de famille malagasy sont prêts à travailler pour 1 ou 2€ par jour, et souvent dans des conditions difficiles, comme casser la pierre à longueur de journée, construire notre village, nos logements, nos routes pavées, …

Très peu de personnes dans le monde seraient prêtes à travailler pour une si petite somme, qui leur assure juste la subsistance !

Parmi les photos ci-dessous, vous pouvez voir des centaines de femmes, la plupart mères de famille de plusieurs enfants, qui travaillent à Akamasoa, dans le village au bord de la décharge d’Andralanitra, et qui s’occupent de l’assainissement, de l’arrosage des fleurs et du terrain de sport, de la propreté, mais aussi du transport des briques et du sable, lorsque les logements dans nos villages ne sont pas accessibles aux camions.

C’est une main d’œuvre indispensable pour que notre village continue de vivre, de se développer, et pour garder un minimum d’harmonie sociale, et ne pas tomber dans le chaos du chacun pour soi. Et toutes les semaines, ces femmes nous supplient de continuer à faire ce travail qui leur permet de vivre et de ne pas sombrer dans la détresse.

C’est pour cela que je n’hésite pas à accepter toutes les invitations qui me sont faites, pour témoigner du combat contre l’extrême pauvreté que nous menons depuis 27 ans, et je peux dire qu’après des milliers de témoignages, à travers la France et en Europe notamment, auprès des personnes de bonne volonté qui m’écoutent et qui ont du cœur, je ne suis jamais rentré à Madagascar les mains vides.

Maintenant, avec ce moyen qu’est Internet de faire immédiatement savoir nos problèmes, nos difficultés et nos besoins, je n’hésite pas à t’inviter, cher lecteur, chère lectrice, à regarder la photo de ces dames que je montre de la main, et qui sont là dans la cour de ma maison, à 100m de la décharge d’Antananarivo.

Et je n’hésite pas non plus à lancer un appel SOS en faveur de ces femmes qui veulent travailler, pour 1 ou 2 € par jour, pas plus, sous le soleil, dans le froid, dans le seul but de faire vivre leur famille et de donner à leurs enfants la possibilité d’étudier, et de manger un bol de riz.

Car depuis bientôt un demi-siècle, 46 ans précisément, je suis témoin de la sobriété de ce peuple malagasy, et surtout de ces mères de famille qui sont prêtes à s’investir dans n’importe quel travail dur pour donner un avenir meilleur à leurs enfants.

On a toujours dit qu’il fallait aider ceux qui travaillent. Je suis témoin ici que ces femmes veulent travailler, qu’elles aiment leurs enfants, qu’elles ont du courage et qu’elles font montre aussi d’une grande persévérance, parce qu’après avoir entendu tant de promesses jamais accomplies de la part des politiciens, elles travaillent toujours, et y croient encore.

Quel courage et quelle espérance, quelle bonté de ces femmes d’y croire encore après avoir été déçues pour la énième fois !

Ces centaines de femmes devant qui je parle, ne représentent cependant qu’une infime partie des milliers de femmes qui travaillent à Akamasoa. Il y a toutes celles qui travaillent à la carrière, à casser la pierre toute la journée, celles qui font manœuvre dans nos chantiers de construction de logement et d’écoles, celles qui confectionnent dans nos ateliers d’artisanat, et dont vous pouvez voir quelques photos ici.

Devant le grand courage de ces femmes malagasy, nous ne pouvons rester sans réagir ; par leur dévouement et leur obstination elles sont un exemple pour beaucoup sur notre terre.

Je voudrais aussi lancer cet appel et ce défi, à nous qui regardons ces photos de femmes au travail, ces visages marqués par la dureté de l’existence quotidienne, ces sourires pourtant rayonnants. Un geste minime de notre part peut les réjouir pour la vie, la journée, car elle ne se sent pas seule devant cette montagne de problèmes qui envahissent ses jours.

Les rapports sont tellement disproportionnés qu’avec l’argent de poche d’un enfant d’Europe, ces femmes peuvent continuer de travailler, c’est-à-dire pour elles survivre, avoir de quoi manger, un logement décent, et l’éducation pour leurs enfants.

Ce qui ne représente rien pour les habitants de certaines parties du monde, savoir 1€ ou 2, pour d’autres, pour des milliers de femmes malagasy, est une chance de survie, de ne pas mourir complètement isolées et délaissées.

Regardez ces visages, et pensez qu’un geste de votre part est le fil qui pourrait les retenir en vie ; et que ce geste n’est pas fait pour les assister, mais pour leur donner la possibilité de gagner leur vie par un travail, et sauver ainsi leur dignité.

Offrons-leur la possibilité de se battre pour elles et leurs enfants !

Fraternellement,

Père Pedro