Nous pensions que le temps d’habiter dans les maisons en bois de 3m sur 3 était un temps révolu à Akamasoa.
Il y a 10 ans, en 2006, nous avions préparé un grand repas avec des milliers de personnes pour fêter la destruction des maisons en bois, et leur remplacement par des logements en dur.
C’était 10 ans en arrière.
Aujourd’hui, à cause de l’augmentation de la pauvreté et du nombre de toutes les familles en provenance de la rue qui frappent à notre porte, nous avons dû, contre notre volonté, recommencer à faire des maisons en bois.
Pour deux raisons : pour loger immédiatement ces familles de la rue qui viennent jusqu’à nous ; et, ensuite, pour donner une habitation individuelle à toutes les autres qui vivent depuis longtemps entassées dans les dortoirs communautaires de notre Centre d’Accueil.
Il est de notre désir, en effet, de donner à chaque famille un lieu, si petit soit-il, pour qu’elle ait un chez soi. C’est dans ce lieu intime, particulier, que la famille va retrouver la bonne entente, la solidarité et l’harmonie perdues à cause des années de vie dans la rue.
Ainsi nous avons recommencé à faire ces maisons en bois qui servent de première urgence et où les familles commencent l’apprentissage du vivre ensemble, entre elles et aussi avec leurs voisins. Elles y vivent à 5,6 et même 7 personnes ; dans 9m2, c’est exigu ! Mais c’est déjà mieux que de vivre sur les trottoirs ou les marchés de la ville.
Regard en arrière
Autrefois, des milliers de personnes vivaient dans les maisons en bois que nous avions construites sur la colline, à Mangarivotra. Et nous avions remarqué une chose, c’est que malgré leurs habitations de fortune, une grande solidarité régnait entre les familles, une solidarité profonde et authentique.
Ces familles étaient toutes des survivantes de l’enfer, celui des rues, ou de la décharge. Et c’est dans cette extrême pauvreté, dans leur lutte commune pour s’en sortir, qu’elles se sont rendu compte que ce n’est qu’avec les autres frères et sœurs, en se donnant la main, en faisant un corps compact, qu’elles allaient pouvoir faire reculer la pauvreté.
Cela reste une expérience inoubliable pour tous les habitants d’Akamasoa, et fait partie de l’histoire indélébile de notre action.
Aujourd’hui, malgré la construction de villages en dur, d’habitations normales avec une petite cour et un potager, ce temps d’apprentissage, de solidarité, reste dans les mémoires de ceux qui l’ont vécu comme un moment d’une grande intensité humaine, de communauté et d’amitié.
C’est un peu ce que vont commencer à vivre ces familles qui arrivent à leur tour.
Un état d’esprit à recréer et affermir sans cesse
Même si de nombreuses familles ont progressé depuis cette époque, évoluant au sein du groupe, chacune possédant une maison individuelle, petite mais sympathique, nous devons tout le temps recréer cette ambiance de solidarité par les réunions de village, les fêtes, les messes, les associations, le travail communautaire de nettoyage de quartier, le sport, les commissions de santé.
Tout cela est indispensable et doit continuer pour rassembler les gens, car la tendance, on le sait et on le voit ailleurs, c’est l’individualisme. Mais pour l’instant, surtout grâce aux associations et à l’Eucharistie, nous tenons encore soudées la communauté et le peuple d’Akamasoa.
Cette bataille pour la solidarité, l’union, l’amitié et la fraternité ne se gagne jamais une fois pour toutes. C’est un combat continuel, parce que l’homme penche vers le moindre effort, l’égoïsme et le chacun pour soi.
Il n’y a que cet idéal communautaire qui puisse servir de barrage et sauver le groupe des dissensions internes. Cet idéal, nous l’avons déjà vécu, et c’est une expérience que nous voulons aujourd’hui transmettre à nos jeunes et aux enfants qui ne l’ont pas connue.
Nous savons aussi que cet effort pour unir les gens s’est fait dans les pays riches et très riches, et que cela doit leur coûter beaucoup d’efforts, et tout cela c’est louable. C’est ce genre d’expériences de solidarité qu’il faut promouvoir, pour unir les humains dans une seule et même famille, où il n’y ait ni exclusion, ni racisme, ni intolérance, ni fanatisme de tout genre, qu’il soit religieux ou politique.
Ici, à Akamasoa, nous faisons cet apprentissage humain à une échelle de quelques milliers de familles, et, avec des hauts et des bas, on avance. Quelques fois avec des tristesses mais aussi, souvent, avec beaucoup de joie.
Première étape d’une guérison
Cet apprentissage humain, pour les familles en provenance de la jungle de la rue, il commence dès leur installation dans les logements un bois, en même temps que s’enclenche un processus de reconstruction de la personne et de socialisation.
Les familles commencent par apprendre le respect de l’autre, des voisins, et la vie communautaire. C’en est fini de l’anarchie de la rue ; maintenant, ici, on s’engage à vivre ensemble, c’est-à-dire à se respecter, s’entraider, donner conseils et le bon exemple aux enfants. On commence aussi à abandonner l’alcool frelaté qui court comme de l’eau dans les bidonvilles de la capitale, souvent pour faire taire les souffrances, les drames, mais qui ne procure qu’une plus grande déchéance au réveil.
On apprend l’hygiène, à être propre, et surtout en ce qui concerne les latrines et les douches collectives.
Tout ce qui est collectif et communautaire est en général mal entretenu, ou géré dans l’indifférence. On se dit que c’est l’autre qui nettoiera, pas moi, et ainsi, comme tout le monde pense la même chose, les douches et latrines restent souvent très sales. Ce respect de l’hygiène constitue ainsi un apprentissage capital pour être capable de vivre ensemble plus tard dans un nouveau village.
Une prise en charge nécessaire mais lourde
Le tour du propriétaire de ces maisons en bois est vite fait. Chaque construction fait 3m sur 3. Tout est en bois, sauf le toit, qui est en tôle ; le dallage lui est en ciment. Matériel et main d’œuvre compris, une maison de ce genre nous revient à 250€.
Autrement dit, dès le premier l’accueil d’une famille de la rue nous devons prévoir cette dépense, ce que souvent les gens de la ville ou les autorités municipales ne se rendent pas compte lorsqu’elles nous envoient des personnes ; c’est une charge en moins pour elles, mais c’est à nous d’assurer le relogement de ces personnes.
Pour nous, c’est toute une chaîne de problèmes qui commence : il faut d’abord créer une petite maison de premier secours, avec quelques meubles, puis donner un emploi aux parents, avec des outils si nécessaires, et enfin organiser la scolarisation des enfants.
Cela représente un coût important, et explique que je sois obligé d’accepter toutes les invitations qui me sont faites pour témoigner des drames et des aides d’urgences qui sont à fournir immédiatement et quotidiennement, ici, à Akamasoa.
Car ces aides en effet doivent être apportées dans les plus brefs délais, et par le chemin le plus court. Le pauvre qui vient chez nous est déjà accablé par les promesses déçues et les drames. Il a besoin de voir qu’on s’occupe de lui, d’avoir un chez soi et du travail, pour commencer à croire qu’une nouvelle vie débute pour lui. Et ce genre de personnes brisées nous tombent tous les jours sur les bras.
Il est impensable que nous ne prévoyons pas des structures d’accueil et depuis 27 ans nous n’avons jamais cessé d’en créer, en les améliorant peu et peu et le mieux possible, afin que leurs souffrances soient atténuées et que les blessures guérissent.
Et un premier espoir de guérison pour ces familles de la rue qui nous arrivent dans le désespoir total, c’est de voir toutes les autres familles, qui étaient dans le même état qu’elles quelques temps plus tôt, déjà remises, debout, et prêtes à reconstruire leur vie. Cela motive les nouveaux arrivants ; ils se disent : si eux ont réussi à se stabiliser, à progresser, à avoir une vie digne, pourquoi pas nous aussi ?
Nous sommes les premiers surpris d’avoir recommencé à devoir construire des maisons en bois. C’est le drame et la pauvreté actuels qui nous obligent à le faire. Nous espérons que ces logements d’urgence pourront servir comme point de départ d’une vie nouvelle à toutes ces familles et ces enfants que nous accueillons tous les jours à Akamasoa.