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Des jeunes oubliés, sans repères, victimes et déboussolés

Mardi 29 mars, en ce jour de commémoration des insurrections des patriotes malagasy qui demandaient l’Indépendance en 1947, les comités des 3 villages Akamasoa d’Andralanitra, Ambaniala et Ankadiefajoro, sont venus me voir pour une triste raison.

Avec eux, 9 jeunes, des garçons de 20 ans environ, dont 3 sont déjà mariés avec enfant, qui ont commencé à commettre des larcins en ville. J’avais été prévenu par les responsables quant à la dangerosité de ces jeunes qui, non contents de voler, font peur et menacent les habitants des villages d’Akamasoa, dans le cas où certains s’aventureraient à les dénoncer.

A Akamasoa nous ne tolérons pas les menaces. C’est pour cela que j’ai convoqué ces jeunes immédiatement après avoir pris connaissance de leurs faits. Et ce mardi matin, je les ai fait venir à Andralanitra pour les rencontrer face à face, les yeux dans les yeux, afin de dialoguer avec eux et essayer de comprendre pourquoi ces jeunes, après avoir grandi à Akamasoa, autour de la décharge bien sûr, mais dans cette famille solidaire que nous avons créée, sont tombés dans cet abîme de violence, de vol et de mensonges.

Et là, je me suis retrouvé devant des jeunes désorientés et victimes. J’ai vu dans leurs visages des enfants oubliés par leurs parents et la société.

 

Une situation incompréhensible

Le comble est qu’une maman de ces jeunes était présente : une maman qui comptait parmi ces 9 brigands, 3 de ses fils ! Une femme déjà âgée, épuisée par la dureté de la vie, que je connaissais très bien et qui m’avait toujours inspiré confiance, une personne calme et respectueuse, connue comme telle dans le village.

Je me demandais : comment cette mère a pu laisser ses 3 enfants se perdre dans la drogue, l’alcool, la prostitution, et ne pas réagir ? Et voilà ce que j’apprends : puisque ses enfants lui rapportaient un peu d’argent tiré de leurs vols, elle était satisfaite, et se taisait…

Quelques responsables parmi les comités de village, surtout des femmes, étaient présentes à cette rencontre, où j’essayais de regarder dans les yeux chacun de ces enfants. Car eux aussi, enfants d’Akamasoa, quand je venais jadis dans leur village, me prenaient la main pour m’accompagner et même, se bagarraient pour savoir qui, parmi eux, serait le plus proche de moi !

 

La confrontation avec les jeunes

Je leur ai demandé : « comment vous, à qui nous avons donné tant d’éducation, de formation, de bons conseils et en dépit de tous les encouragements reçus, vous avez pu dévier d’une façon si incompréhensible ? »

Ce sont des jeunes déboussolés et victimes qui m’ont répondu, disant : « Parce que nous cherchions du travail pour aider notre mère, nous avons quitté tout doucement les études. A l’invitation des éboueurs, nous sommes allés en ville sur les camions de la décharge pour trouver une occupation. Et c’est là que nous sommes rentrés en contact avec les jeunes des bas quartiers. Nous les avons accompagnés dans leurs vols, et nous avons commencé à vivre du mensonge, de l’astuce, et de la drogue locale, le rongony. »

Je leur ai dit : « Mes chers amis, tout ce que vous avez reçu à Akamasoa doit être encore vivant dans votre cœur, votre esprit ! » Et disant cela, je tapais fortement du poing sur la table à côté de moi, afin d’impressionner ces jeunes que je voyais ailleurs, rien qu’à leurs regards, comme s’ils étaient partis dans un autre univers, celui du chacun pour soi et de la survie. Mais une survie dans le monde de la perdition ! Ces jeunes qui hier encore étaient nos jeunes, mais qui se sont éloignés de nous et de notre travail, par l’esprit, la mentalité, la pensée, et aujourd’hui s’en trouvent très loin.

Vraiment, je cognais avec grand bruit pour les réveiller : « Nous sommes ici à Akamasoa ! Vos parents ne vous ont jamais dit d’aller voler, on vous a même toujours répété que c’était mal, et que nous ne tolérions pas ça ici. Réveillez en vous ces conseils et ces vertus qu’on vous a appris ! Elles sont bien encore en vous quelque part, enfoncées, encombrées ! Et qui est plus en ce jour, où l’on commémore les héros de votre Patrie, ceux qui ont donné leur vie pour que vous ayez une vie meilleure et plus digne! »

Et je frappai une nouvelle fois de mon poing sur la table.

« Si ces héros malagasy se réveillaient, et qu’ils vous voyaient, qu’ils voyaient à quel point vous êtes tombés dans la déchéance et l’abîme du mal, ils seraient tellement tristes qu’ils mourraient une seconde fois. »

Je parlais fort, mais en même temps je les regardais fraternellement, cherchant leurs yeux et leur cœur pour faire revivre en eux ces moments où, enfants, ils avaient été proches de moi, ces souvenirs qui ne sont pas anéantis à tout jamais, mais sommeillent encore quelque part.

Le comité aussi les a encouragés à revenir dans le droit chemin, et de même leurs parents présents.

A la fin, je leur ai demandé : « Regrettez-vous le mal que vous avez fait ? Pensez-vous demander pardon à vos parents, à tous les éducateurs, les responsables d’Akamasoa et à tous ceux qui ont souffert de vos actions ? »

Puis je leur ai dit de se lever, et que chacun dise son nom, et ce qu’il pensait faire désormais de sa vie.

Un par un, tous ont regretté et demandé pardon. Et chacun, après avoir demandé pardon, a formulé la même demande : « mon père donne-moi un travail afin que je puisse me sortir de ce mauvais chemin. »

Ce courage qu’ils ont montré pour reconnaitre leurs défauts m’a frappé, et dans leur assurance farouche j’ai compris qu’ils avaient été marqués et habitués à la vie dure de la rue.

 

Faute de travail, ils voleront pour survivre

Là, j’ai compris qu’il est facile de donner un conseil, ou de faire un sermon à un jeune qui a dévié et qui est seul dans la société, et sans travail. Mais que justement, c’est le fait de ne pas avoir un travail digne, régulier, qui les a poussés à aller dans la zone interdite, à s’élever contre la société qui les a vus naître.

Et en moi-même je me suis dit : je suis celui qui donne des conseils, qui encourage à changer ; mais si mon rôle s’arrête là et que je ne les aide pas à avoir un travail, alors je ne fais que la moitié du chemin avec eux. Car après ce pardon qu’ils ont demandé, dès demain peut-être, ils recommenceront à voler, parce qu’ils doivent vivre.

J’ai alors demandé aux jeunes de sortir un moment afin de parler avec le comité et les parents.

 

La responsabilité des dirigeants

« Vous voyez, leur ai-je dit, les jeunes qui n’ont pas de travail régulier et digne, qui leur assure le minimum d’argent pour avoir une vie décente, ces jeunes vont obligatoirement tomber dans le vol, le mal, et suivre les bandes de malfaiteurs qui se créent tous les jours en ville. »

Là aussi j’ai compris combien les responsables de l’Etat sont absents dans ce domaine de la création d’emplois pour leurs jeunes, et que c’est un examen de conscience que devraient faire tous ceux qui ont demandé d’être élus pour diriger le destin d’une Nation. Combien sont responsables tous ces dirigeants qui ne se soucient pas de leur peuple !

Pour ma part, je ne suis pas venu à Madagascar pour créer des emplois, devenir un entrepreneur et un patron.

Je suis venu en tant que frère de ma communauté de Saint Vincent de Paul, et pour servir mes frères les pauvres.

Mais nous avons été obligés, à Akamasoa, par la force des choses, par les plus pauvres qui mouraient de faim et de maladie, et par le bon sens et l’humanité, de créer des emplois et tant d’autres infrastructures pour sauver les enfants et leurs parents.

Cependant, nous ne pouvons pas entretenir des dizaines de milliers d’emplois ! Les quelques milliers que nous avons déjà créés nous permettent de parler et d’hausser la voix, et de crier fort aux responsables qu’il faut sauver les jeunes de ce pays, les aider à revenir à la société, pour qu’ils aient un avenir.

Car on ne peut pas laisser ces jeunes désorientés se perdre dans la drogue, le mal, l’indifférence, le chacun pour soi et, finalement, dans l’anarchie.

Les responsables de l’Etat ne peuvent pas se dédouaner trop facilement de cette responsabilité. C’est un devoir sacré d’un élu que de servir et préparer un avenir digne à ses propres enfants et jeunes. Et je suis écœuré de voir l’indifférence depuis des dizaines d’années face à ce problème, qui a produit toute cette instabilité dans la ville d’Antananarivo et dans le reste du pays.

Il ne faut pas être un diplômé de sociologie pour comprendre cela. Et je crois toujours qu’il n’est jamais trop tard, on peut toujours recommencer ce combat pour la justice sociale et la création de travail pour le peuple.

 

Après avoir discuté de ces choses avec le comité et les parents, j’ai rappelé les jeunes, et je leur ai dit : « Si vous demandez du travail, on va vous donner du travail ; mais pour un temps limité d’abord, afin que vous puissiez vous ressaisir. Et ensuite on verra, si vous voulez vraiment changer. Mais ça ne vous empêche pas, dans vos moments libres, de chercher un emploi à l’extérieur. »

Nous encourageons en effet toujours dans ce sens, la recherche d’emploi à l’extérieur, car il est impossible à l’infini de supporter cette charge de milliers d’ouvriers que nous avons pris à bras le corps par un devoir humanitaire. Mais notre action dans ce domaine devrait n’être que temporaire… dans l’attente que l’Etat s’occupe de ces jeunes, qu’il encourage la création d’entreprises et l’investissement extérieur.

Sinon, si l’Etat ne prend pas sa responsabilité dans ce domaine, c’est une société où les jeunes vont sombrer dans des bandes de voleurs que nous allons créer, des bandes qui sèmeront la panique et la peur dans tous les quartiers de la capitale et même dans les campagnes.

Ensuite j’ai demandé à chaque jeune de faire une déclaration par écrit de leur repentance, affirmant qu’ils ne voleront plus et qu’ils s’engagent dès maintenant à travailler.

« Si vous ne changez pas, leur ai-je dit, nous ne pourrons pas cautionner vos mauvaises actions, et nous serons obligés, à contre cœur, de vous conduire auprès des responsables des services de l’ordre de l’Etat. Car nous ne pouvons pas accepter qu’à Akamasoa se forment des groupes de malfaiteurs ; c’est un déshonneur et le contraire de ce que nous avons poursuivi. Et surtout cela va à l’encontre de la culture des ancêtres que nous voulons suivre. Parce qu’au lieu de la solidarité et de l’entraide, c’est la violence et la peur qu’on instaure. »

 

Notre responsabilité devant les jeunes

Je tenais à faire cette réflexion afin que tous ceux qui nous aident savent que devant 14 000 jeunes et enfants dans nos écoles, nous avons un devoir sacré d’empêcher qu’une minorité infime et violente puisse, à Dieu ne plaise, semer le désordre, apporter une mauvaise réputation pour ces milliers de jeunes qui veulent étudier, qui aiment leur Patrie, respectent leurs parents et veulent se sortir de l’extrême pauvreté par les études, les sacrifices, la solidarité, l’amour, et le respect de la culture malagasy.

Nous sommes tous responsables de nos jeunes. Aucun pays ne peut se vanter d’avoir une jeunesse sans problèmes, sans drogue, sans vie facile, sans jeunes désorientés et perdus dans le labyrinthe de la vie. Responsables devant eux quand ils sont enfants, puis adolescents, car à chaque étape il faut les aider à trouver un sens à leur vie.

Ici, à Madagascar, à Akamasoa, que faut-il faire devant ces jeunes qui ne connaissent pas leur voie et qui sont trompés ?

Notre rôle est multiple : éducateur, prêtre, parents et ensuite, comme des entrepreneurs et à la place de l’Etat, donner du travail. Le travail, encore, n’est pas le problème. Du travail, il y en a ; mais l’argent ? Car pour ces 9 jeunes à qui on donne une occupation et la chance de se relever, il faudra trouver à la fin de la semaine l’argent pour payer leurs salaires.

Il faut que les gens sachent combien le travail et le combat que nous menons ici est difficile. Des cas comme ça, on en a plusieurs fois par semaine. Et encore ce matin, avant que je n’écrive ce texte : un jeune  qui frappe sa propre mère, l’insulte, parce que la drogue l’a rendu fou …

Le combat continue !

Photos Dimanche de Pâques 2016 à Akamasoa.

Voici les photos du Dimanche de Pâques à Akamasoa.

Photos du Samedi Saint 2016

Voici les photos de samedi saint à Akamasoa. Force, joie et courage dans nos coeurs !

Fête de Pâques 2016 à Akamasoa

Fête de Pâques 2016

En ce dimanche 27 mars 2016, nous célébrons la fête de Pâques, et nous vous souhaitons à tous et à chacun, chers frères et sœurs de bonne volonté à travers le monde, Joyeuses fêtes Pâques ! Que la joie de la résurrection et du triomphe du bien sur le mal, de la vie sur la mort, de l’amour sur la haine et de la paix sur la guerre, puisse régner dans le cœur de chaque être humain sur terre !

Chaque année, pour tout le peuple d’Akamasoa, ces fêtes de Pâques sont le moment de se réunir une nouvelle fois ensemble et en grand nombre, de se recueillir sur ce qui est le fondement de notre foi et de se réjouir aussi, puisque par sa résurrection, nous savons que Jésus nous a sauvés.

Depuis le début du Carême, chaque vendredi de chaque semaine, les habitants de nos différents villages organisaient un chemin de croix. Les personnes d’Akamasoa se réunissaient en fin d’après midi et retraversaient les 14 stations de la passion du Christ, en priant, récitant, chantant. Une façon de peu à peu intérioriser et comprendre ce qui fait notre foi.
Cette semaine Sainte, qui clôt le Carême, s’est déroulée en plusieurs moments.

Jeudi

C’était le moment de l’institution de l’Eucharistie, comme nourriture spirituelle, pain de vie, qui est indissoluble du service, parce que Jésus a continué par le lavement des pieds de ses disciples, pour bien montrer que celui qui veut être le premier doit être le serviteur de ses frères, renversant ainsi la logique habituelle des hommes.
Cette messe du soir fut cette année d’une grande force. On sentait l’attention et le recueillement des personnes pour écouter la parole de Dieu, en recevoir la force et l’amour. Mais ce ne fut pas tout ! Un événement a secoué toute l’église et les milliers de personnes qui priaient …

Car soudain, vers 19h30, alors que la célébration touchait à sa fin, un énorme orage a éclaté, ce qui est fréquent ici, et cette année la période des pluies semble s’être un peu décalée, puisqu’ après le calme des derniers mois, la pluie tombe dure et forte chaque soir.
Mais ce fut ce soir là un tonnerre venu de nulle part, qui a fait trembler le toit de l’église pendant plusieurs secondes…

La foudre est tombée sur le toit de l’église, ce qui a provoqué un craquement assourdissement, qui a plongé toute la foule dans l’obscurité et un silence étonnant. Le danger était bien là, car le toit et toute la charpente de notre église sont en fer… Et la foudre a tapé sur un côté du toit, et certains l’ont vu rentrer dans la structure métallique et la traverser de part en part, d’un côté à l’autre, grillant instantanément les deux lampes qui se faisaient face au milieu de l’église ! C’était très dangereux, et les disjoncteurs ont sauté bien sûr !

Toutes les lumières se sont éteintes, les gens sont restés pétrifiés, plongés dans l’obscurité totale par la coupure de courant. Et pourtant, aucun cri de désespoir, ou de peur. Au contraire, petit à petit les gens ont allumé leurs lampes de poche et les jeunes de Manantenasoa ont entamé un chant pour tranquilliser la foule, ce qui nous a donné à tous un air de ressuscité, après avoir passé un moment terrible… La dangerosité de la foudre en effet aurait pu brûler ou blesser à mort des enfants, mais par miracle personne n’a été touché.
Et ce chant des enfants qui a succédé à la foudre, a redonné la paix à tout le peuple d’Akamasoa, qui a continué la prière et la procession avec le saint sacrement, avec les seules lampes de poche pour lumière. C’était en effet la fin de la messe, et le moment du recueillement à l’approche de la résurrection de Jésus. Pratiquement tout le peuple était à genoux pour célébrer ce mystère, dans l’obscurité, avec la pluie qui s’était mise à tomber très fort sur la colline de Manantenasoa.

Cela a donné une dimension supplémentaire à ce jeudi saint, où Jésus, priant à Gethsémani, est entré en combat contre les ténèbres. Ce combat, nous l’avons revécu d’une certaine façon, à Akamasoa, avec ces ténèbres qui nous sont tombées dessus. Mais c’est la présence de Dieu qui a été la plus forte, plus forte que ce phénomène naturel qui nous a surpris d’une façon tellement imprévue.
Sans aucun doute, cet événement restera dans les mémoires de tous ceux qui l’ont vécu !

Vendredi.

Vendredi saint, nous avons fait un grand chemin de croix dans notre village de Manantenasoa, sur la colline. Partis du cimetière dans le quartier de Mangarivotra, nous avons cheminé, lentement et dans le recueillement, tout autour de la colline, passant près du Centre d’Accueil, au-dessus de la grotte, sur la pointe de Bemasoandro, puis revenant par les quartiers de Lovasoa et Mahatazana, avant de rentrer à l’église, et de célébrer la messe.

Ce chemin de croix est toujours empreint de beaucoup d’émotion, en raison de la foule d’abord, qui grossit peu à peu à mesure qu’on traverse les quartiers : on voit des familles qui rejoignent la longue cohorte de ceux qui prient déjà, et se mettent à chanter avec elles.

C’est le père qui conduit la première station du cimetière jusqu’au centre d’accueil, et la dernière, à la montée de Macolline : qui conduit, c’est-à-dire qui porte la croix, comme le Christ, avec l’espérance que ce lieu de souffrance puisque continuellement changer en un lieu de paix, de fraternité et de partage.

Entre les deux, des hommes portent des croix, s’agenouillent à chaque station, prient, et chantent bien sûr, chantent toujours, avec ces chants malagasy qui viennent de loin, et parlent de l’amour de Dieu, de la souffrance, de la vie et de la joie. On ne peut pas rester sans émotion lorsqu’on entend ces voix qui viennent du cœur, très sûres car elles sont habituées à chanter, ces voix de tout un peuple uni qui trouve sa beauté, non dans les œuvres d’art comme les occidentaux, mais dans un art non écrit, d’être ensemble et de prier.
Car c’est un peuple qui est réuni pour prier, et cela fait sa beauté : recueillement, cheminement de tous ensemble, arrêts, reprise du mouvement, avec des chants toujours. Tout un peuple, le peuple d’Akamasoa, que la dureté de l’existence quotidienne réunit, et qui trouve dans son lien avec Dieu une force pour aller de l’avant, continuer, se battre, et dans Jésus Christ un appui, un réconfort, un amour dont l’exigence est désormais fortement rappelée par le pape François, en cette année de la miséricorde de Dieu.

Quand nous passons autour du marché de Macolline, les vendeurs ferment leurs boutiques, et se mettent au bord de la foule, formant une haie silencieuse, très respectueuse, et on voyait leur participation et leur désir de faire partie de ce peuple qui veut être libre, qui veut surmonter le mal, et vivre en fraternité.

Après avoir marché ensemble pendant plus de 2 heures, car nous rentrons à l’église, pour célébrer la messe.
Le peuple d’Akamasoa ne se fatigue pas de prier et de chanter. Il y a là des petits enfants, des autres un peu plus grands, des adolescents, des adultes et des vieillards, hommes, femmes, filles et garçons qui s’asseyent comme ils en ont l’habitude chaque dimanche, par milliers sur les gradins du stade couvert qui est notre église de Manantenasoa.

Ce stade que nous devons sans cesse agrandir ! Car la foule de ceux qui prient augmente chaque semaine ; et quelques mois après des travaux réalisés sur la toiture, nous construisons en ce moment des rangées de gradins supplémentaires, en briques enduites de ciment, afin de pouvoir accueillir quelques 700 personnes en plus des 7 ou 8000 « places » que la structure actuelle offre !

Samedi.

Samedi Saint, c’est la bénédiction du feu, et toute l’église est alors remplie de bougies, manifestant le feu nouveau de la vigile de Pâques. Toutes ces lumières illuminent l’obscurité où l’humanité est tombée à cause de l’égoïsme, du manque d’amour, de partage et de paix. Tant de bougies tenues par tout un peuple dans la nuit, créent un éclat de lumière extraordinaire, un élan de générosité et d’espérance pour chacun.

Nous avons ensuite baptisé 53 adultes, des hommes et femmes déjà adultes et mariés. Un baptême de ce genre, avec des hommes et des femmes qui ont déjà vécu, qui sont déjà affaiblies par la vie et maladie, cela bouleverse au fond du cœur. Car ces personnes sont là, ce ne sont plus des enfants, elles se tiennent debout et demandent à être baptisées, car elles croient en Jésus Christ et en sa résurrection.

Il est impossible de décrire ce moment, très fort à la fois pour ces personnes, mais aussi pour nous, puisque nous le vivons ensemble comme Eglise.

Dimanche de Pâques.

La messe de la résurrection, toujours dans cette église pleine de frères d’Akamasoa, mais aussi de frères touristes de plusieurs pays, de plusieurs nations, nous l’avons célébrée dans une grande simplicité, mais aussi avec une grande ferveur et une grande joie. Une fois encore, c’est un événement qu’on ne peut expliquer, mais qu’on peut simplement vivre et sentir dans son cœur.

Nous avons béni 49 mariages de couples qui ont déjà eu jusqu’à 20 ans de vie commune, et tous leurs enfants étaient présents ; en même temps, ces couples ont reçu la première communion.

Grâce à Dieu, nous avons vécu une fête de Pâques d’une grande joie, d’une grande ferveur et d’une grande intensité, et nous voulons dire merci à tous ceux qui ont participé pour que cette fête soit vraiment une fête ! Dieu ne nous oblige jamais, mais nous invite seulement, et c’est ce que nous avons fait, nous avons fêté et célébré le mystère de l’Eucharistie !

Puisse l’amour et la paix de Dieu transfigurer notre monde d’hostilité, de violence et de guerre. Que cela puisse cesser un jour, et que chacun sache que cela ne dépend que de lui, de chaque personne là où elle vit, là où elle travaille, là où elle aime ses frères et ses sœurs.

Évolution de la construction d’une école à 10 salles de classe à Akamasoa

Visite de jeunes rugbymen de Mayotte et de l’île de la Réunion

Vendredi 11 mars, nous avons reçu la visite des équipes de Mayotte et de la Réunion, qui  ont pour habitude de venir à Madagascar tous les ans, pour un tournoi qui regroupe les îles de l’Océan Indien : Madagascar, Mayotte, Maurice, les Comores, les Seychelles et la Réunion.

Cette année, nous n’avons pas pu recevoir les matchs préliminaires à Akamasoa, puisque nous sommes en train d’améliorer l’herbe de notre terrain d’Andralanitra. Mais ayant gardé un souvenir tellement beau de l’année précédente, les joueurs de la Réunion et de Mayotte sont revenus nous visiter et nous amener quelques dons pour les jeunes d’Akamasoa.

Nous les avons accompagnés un peu dans nos villages d’Andralanitra et de Manantenasoa, et ils furent très surpris par la grandeur de l’œuvre d’Akamasoa, par la propreté aussi de toutes les rues et des quartiers.

Ils ont vu le travail des carrières, et se montrés très admiratifs devant ce cratère que les ouvriers et ouvrières ont réalisé durant 27 ans.

Nous sommes passés au Centre Accueil, où les responsables leur ont expliqués que l’année dernière plus de 43 000 personnes sont passés par ce centre, ce qui les a une nouvelle fois surpris, la quantité de personnes pauvres qui frappent à notre porte tous les jours.

Nous avons senti que les jeunes sportifs de la Réunion et de Mayotte étaient émus et vite conquis par les enfants d’Akamasoa, leur gentillesse, leurs sourires

On les a vus repartir très heureux de cette rencontre avec le peuple d’Akamasoa.

Comme quoi le sport et l’humanitaire peuvent se donner la main pour un monde meilleur.

 

Journée de la femme à Akamasoa

A Akamasoa comme tous les ans nous avons célébré cette journée dans la simplicité et la joie !

Les femmes de Manantenasoa et Andralanitra ont nettoyé la Ville et ensuite vers 10 heures nous avons fait une manifestation où les femmes ont pris la parole et encouragé leurs compagnes à continuer de lutter pour leurs droits, leur dignité, leur égalité avec les hommes et contre le sexisme !

Le courage des femmes malagasy est légendaire !

Elles ont une force incroyable pour vaincre tous les problèmes, les difficultés et surtout les drames quotidiens auxquels doivent faire face tous les jours !

Le premier de ces drames, c’est de trouver comment faire vivre leur famille, leurs enfants, comment leur procurer une vie digne et normale, quand elle n’ont pas un travail rémunéré comme il faut, quand l’argent n’est pas suffisant dans leur foyer!

On peut être surpris de l’imagination et de la débrouillardise de ces femmes malagasy quand il s’agit de faire survivre leurs familles !

Elles aussi, comme dans tant de pays à travers le monde, se rendent comptent qu’elles sont souvent des objets dans les mains d’hommes sans scrupules ! La femme est toujours victime de l’ exploitation et de l’exclusion.

La pauvreté a un visage de femme en Afrique et Madagascar ! C’est la femme qui la première subit toutes les conséquences néfastes de la politique pleine de corruption, du manque du travail, de manque de sécurité !
Elles sont en première ligne chaque fois qu’une guerre éclate ! Ce sont elles qui doivent tout chercher pour faire manger sa progéniture.
Comment elles arrivent à le faire, seul Dieu le sait ! Avec un rien elles créent tant de choses qu’on en reste émerveillé!

Malgré tant de souffrance, de douleur et privations, ces femmes restent debout, fières avec un visage plein de rides, mais quelle dignité !

Je n’hésite jamais à appeler ces femmes courageuses, des Dames avec une majuscule, qui n’ont peur de rien pour sauver leurs enfants ! Elles devraient être davantage tenues en compte dans tous les pays ! Elles devraient avoir plus de responsabilités dans les décisions de la vie du pays et de la Nation !

On peut penser qu’avec plus de femmes dans les postes à responsabilité, il y aurait moins de guerres, de corruption, d’instabilité et surtout plus de paix !
Car la femme est plus responsable, elle sait prévoir et penser le futur, ce qu’on va manger ce soir !
Le futur de beaucoup de femmes pauvres, c’est ce soir et demain c’est encore loin !

Les femmes d’Afrique et de Madagascar peuvent être un exemple pour beaucoup dans ce monde ! Elles ne se vantent pas, elles sont simplement elles mêmes et font ce qui est bien pour le bien de tous, le bien public et communautaire ! Elles pensent davantage aux autres qu’à soi même !

Elles sont sobres à un tel point qu’on se demande, si on peut vivre comme elles le font avec si peu de choses. Car elles ne dépensent que quelques centimes par jour pour vivre ! Ce courage et cette bravoure qu’elles ont est un exemple pour leurs enfants et ce sont elles qui maintiennent l’espérance vive dans La famille et La Nation !

Voilà tout ce que j’ai dit à ces femmes ce matin, jour international de leur fête.

Puis je les ai encouragées à continuer ce combat qu’elles mènent avec tant de force et de persévérance depuis de dizaines d’années ! Je leur ai dit que pour ma part je m’engage à aller toujours jusqu’au bout du monde pour chercher justice pour elles, afin qu’elles aient un travail pour faire vivre leur famille !

Je les ai invitées à croire en elles-mêmes et à se défendre pour que leurs droits ne soient pas bafoués, puisque ces droits ne sont pas un privilège donné par les hommes; leur droits et leur dignité sont sacrés, parce que c’est le Créateur qui l’a voulu ainsi !

A nous tous ensuite, hommes et femmes de savoir nous respecter, nous entraider avec nos talents et nos richesses particulières que chacun a dans son genre !

Toutes ces différences sont une richesse et jamais un obstacle pour avancer et progresser dans la voie du respect et de l’estime réciproque !
Nous aurons encore longtemps à lutter pour que l’égalité et la parité entre les sexes soient une réalité et que les droits de toutes les femmes sans exception soient respectés par tous !

Aujourd’hui nous avons vécu une belle journée avec plus de 2.500 femmes Akamasoa, qui ont manifesté encore plus de ferveur à continuer de relever la tète, et de se faire respecter par les hommes et la société !
Rien n’est impossible pour celui qui croit à l’Amour qui peut tout transformer, tout renouveler et tout pardonner, pour recommencer un nouveau chemin de dignité, de liberté, d’égalité et de progrès !

Voici quelques photos qui peuvent traduire l’ambiance de cette journée de La femme à Akamasoa !

Père Pedro

Entretien du Père Pedro

Voici un entretien du père Pedro avec l’écrivain et journaliste Bertrand Révillion dans le numéro de décembre 2015 de la revue Prier.

« À Noël, Dieu vient habiter nos pauvretés… »

Il voulait être prêtre et missionnaire. L’Argentin d’origine slovène, né en 1948, est arrivé à Madagascar il y a bientôt 40 ans. En 1989, il découvre l’immense décharge de Tananarive et fonde l’association « Akamasoa » qui construit écoles, villages, dispensaires, sauvant des milliers d’enfants des ravages d’une pauvreté endémique.

– Bertrand Révillion : En septembre 1975, en Argentine, à la fin de la messe de votre ordination, vous avez dit : « Je suis prêtre à la suite de Jésus et je veux donner ma vie aux plus pauvres ». D’où vous est venue cette double vocation, être prêtre et vivre aux côtés des plus démunis ?

Père Pedro : Ma vocation s’enracine d’abord dans ma famille où la foi n’était vraiment pas quelque chose de superficiel : la foi était notre vie ! Je suis originaire d’une famille Slovène qui a fui le communisme engloutissant, après la guerre, l’ex-Yougoslavie sous une chape de plomb. Mon père, maçon et ma mère, paysanne, ont tout laissé : leurs biens, leur maison, leur terre, pour pouvoir continuer de croire, de vivre, sans être pourchassés et persécutés, leur attachement au Christ. A l’époque, Tito « nettoyait » tous les opposants et mon père a failli être fusillé. Il a prié la sainte famille et a réussi à s’échapper à quelques pas du cratère d’une vieille mine que les miliciens avaient transformé en charnier. Il fut le seul survivant… Après un mois à se cacher dans la forêt, il a réussi à passer en Italie, accueilli dans un camp de la croix rouge internationale… où il a rencontré celle qui allait devenir sa femme ! Ils se sont mariés en Italie avant d’émigrer en Argentine où je suis né, en 1948, à San Martin, dans la banlieue de Buenos Aires.

– La foi a baigné votre enfance…

– Jésus était « naturellement » présent dans notre vie. Nous récitions chaque jour la prière le matin et le soir. Nous demandions la bénédiction de Dieu lorsque nous quittions la maison. Une foi toute simple, forte, très humaine… A 15 ans, je me suis mis à lire les Évangiles et j’ai découvert à quel point Jésus était l’ami des pauvres et des petits. J’ai été totalement séduit et je me suis dit : « Cet homme-là, je veux l’imiter ! » Mon désir d’être prêtre est né ainsi.

– Un prêtre « missionnaire ».

– Oui, dès mes premières années de séminaire, j’ai voulu « partir au loin », rejoindre, en Afrique ou en Asie, les plus pauvres parmi les pauvres. Je me disais que l’Église d’Argentine pouvait se passer d’un prêtre de plus, qu’il y avait, ailleurs, sur la planète, des appels urgents. Un jour, cet appel est venu de Madagascar. Je n’étais pas encore ordonné. Mes supérieurs m’ont permis une première insertion de deux ans là-bas. Je suis parti sans hésiter une seconde !

– Votre choix de devenir prêtre, votre formation se sont faites dans le sillage immédiat du Concile Vatican II…

– Ce très grand moment de l’histoire de notre Église a été très déterminant pour moi et a renforcé, nourri ma vocation. Je buvais littéralement « Lumen Gentium », « Gaudium et Spes », tous ces grands textes conciliaires qui ouvraient enfin l’Église sur le monde ! Je nageais dans la joie d’appartenir à une Église qui se voulait, non pas suspicieusement « au-dessus » du peuple, mais au cÅ“ur de la vie des hommes et des femmes de son temps. Au plus près des réalités humaines, attentive aux blessures et aux souffrances de l’homme. Chaque samedi, je quittais les murs de mon noviciat, pour me rendre dans un bidonville proche de la ville argentine où je me trouvais alors. Les gens m’accueillaient avec bonheur, j’entrais chez eux, je découvrais un peu leur vie si difficile. J’avais le sentiment de vivre l’Évangile et les Béatitudes en acte ! Alors, oui, c’est vrai, à la fin de la messe de mon ordination, j’ai dit à la foule : « Je demande à Dieu la grâce de ne jamais trahir la cause des pauvres ! »

– Racontez-moi vos premiers pas de prêtre à Madagascar.

– Quand vous arrivez là-bas et que vous êtes prêtre, vous êtes perçu comme un notable. On vous met à part dans un presbytère confortable, avec tous les honneurs dus à votre rang ! J’ai refusé. Moi l’enfant du peuple, le fils d’ouvrier, je voulais vivre à côté avec les gens les plus simples et les plus pauvres. J’ai été nommé dans une petite mission, en pleine brousse, à plusieurs centaines de kilomètres de Tananarive.

– Et là, vous vivez un accueil pour le moins mitigé !

– Un jour, j’arrive dans un village et je vais saluer les enfants… qui se mettent à pleurer. Leurs parents me regardent d’un Å“il méfiant. Puis tout le monde va se cacher et je reste seul, comme un imbécile ! Je venais en frère sans me rendre compte que, moi le prêtre blanc, je débarquais chez eux sans y avoir été invité, sans avoir pris le temps de l’apprivoisement mutuel. J’ai pris, ce jour-là, une sacrée claque dans la figure !

– Vous découvrez l’art nécessaire de la patience !

– Oui, ne pas aller trop vite, entrer dans la culture malgache, apprendre la langue, travailler de mes mains avec eux – la maçonnerie comme mon père me l’avait apprise ! -, s’insérer avec humilité. Un gros travail sur soi, car la patience n’est sans doute pas, comme pour beaucoup d’Argentin, le trait premier de mon caractère ! J’ai pris alors un bréviaire malgache et me suis mis à prier, chaque jour, les psaumes, au début sans rien y comprendre et jusqu’à ce que cette langue m’entre enfin dans le crâne et dans le cÅ“ur. Accepter aussi de me laisser secouer, blesser par une vie si différente que celle que j’avais connue. Une existence souvent marquée par la mort, celle des enfants en bas âge, celle de leurs parents aussi, touchés par la malnutrition, le paludisme, la dysenterie… Dans les années 70, l’espérance de vie à Madagascar était de 42 ans ! J’ai peu à peu découvert comment habiter cette formidable mission du prêtre : rassembler, pardonner, bénir au nom de Dieu et surtout partager le quotidien souvent terriblement difficile de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants. Se laisser évangéliser par eux, par leur incroyable énergie, leur courage, leur espérance…

– Après quinze ans dans votre Mission en pleine brousse malgache, vous êtes épuisé…

– Terrible passage à vide. J’avais brûlé toute mon énergie et les pauvres étaient encore pauvres, les enfants encore malades. Moi-même, j’avais contracté des infections, j’étais à bout de force, tentant, malgré tout, de faire bonne figure. Ma prière était devenue un champ désertique. J’étais révolté contre l’indifférence des politiciens, profondément choqué par le peu d’engagement concret de mon Église contre la misère. Le feu de l’Évangile devait combattre la pauvreté mais il restait si souvent enfermé dans le confort de nos Églises et de nos sacristies, cantonné à un joli message doucereux ! Où donc entendait-on le vigoureux « Lève-toi et marche » du Christ ?

– Avez-vous douté de votre vocation ?

– Non, jamais. J’ai continué à prier sans plus ressentir les fruits de ma prière. Mais je m’y suis tenu, malgré la nuit. J’ai continué de rassembler la communauté, de chanter avec elle, de vivre avec les pauvres. Leur écoute, les moments partagés avec eux furent, souvent, ma seule prière. Depuis 15 ans, le nombre des pauvres avait énormément augmenté à Madagascar. J’étais venu apporter l’espérance de Dieu et nous étions face à un mur. Un profond sentiment d’échec. J’ai voulu quitter le pays, renoncer à être missionnaire. Je crois que seul Dieu sait qu’elle fut alors mon désespoir et ma révolte.

– Un Dieu qui ne vous a pas laissé tomber…

– Un Dieu qui, au travers du visage du Christ, m’a rappelé son extrême humilité, sa venue si humble et pauvre, à Noël. Tout le contraire d’un Dieu tout puissant et triomphant. Un Dieu fragile, dont la plus grande force est justement sa propre fragilité ! Soucieux de mon état de santé assez délabré – et après un passage dans le service des maladies infectieuses et tropicales d’un grand hôpital parisien – mes supérieurs m’ont rappelé à Antanarivo (Tananarive), me demandant de m’occuper de la formation des séminaristes lazaristes. J’ai accepté, mais, franchement, cela ne me faisait pas danser de joie : je n’étais pas devenu missionnaire pour m’enfermer dans un séminaire ! Un jour, par hasard, mes pas m’ont mené dans une gigantesque décharge d’ordures. Un lieu infecte, puant, l ‘enfer sur terre… Des enfants fouillaient les immondices pour trouver de quoi survivre. J’ai reçu un gigantesque électrochoc. Je suis resté muet. « Ici, il ne faut pas parler, il faut agir. Vite ! » En rentrant, j’ai raconté ce que j’avais vu à mes frères séminaristes. Je leur ai dit : « Les études, la théologie, la philosophie, c’est important. Mais vous ne pouvez pas mettre l’amour des pauvres entre parenthèse pendant les 7 ans de votre formation. Agissons ! » J’ai aussi sollicité un groupe d’universitaires que je connaissais. Le soir, incapable de dormir, je me suis mis à genoux sur mon lit, j’ai levé les bras et j’ai dit : « Seigneur, je n’ai pas de relations influentes, pas d’argent, pas de formation spécifique… Aide moi à aider ces enfants et leur famille. »

– L’aventure « Akamasoa », « Les bons amis » en Malgache venait de débuter !

– J’allais voir les familles chaque jour sur la décharge ; des familles écrasées par l’invraisemblable taux de mortalité de leurs enfants. Je leur ai dit : « ensemble, on va sauver vos enfants ! » Les premiers temps, nous venions, avec mes amis et frères du séminaire, les bras chargés d’un simple goûter, un peu de pain, du lait. Puis, nous nous sommes mis à chanter. Puis nous avons proposé d’apprendre aux enfants à lire et à écrire… Pas à pas, jour après jour, nous avons relevé l’impossible défi. Voilà comme sont nées nos écoles qui, à l’heure où je vous parle, accueillent quelques 12.000 enfants répartis dans 18 « villages » et une « ville » de 25.000 habitants que nous avons bâtie aux abords de la décharge. L’enfer a un peu cédé la place à l’espérance…

– Votre prière a retrouvé le sens de la louange ?

– Oui, mais une louange souvent rappeuse qui n’oublie pas le cri des pauvres, qui continue, comme les psaumes, à se révolter. Tant d’enfants ne devraient pas mourir pour une simple fièvre, une diarrhée… Mais je rends grâce aussi parce ce sont les pauvres qui m’ont sauvé, qui m’ont relevé, remis sur mon chemin de missionnaire de l’amour. J’ai pu vérifier la profonde vérité de la phrase de saint Paul : « C’est lorsque je suis faible, que je suis fort ». Il aura fallu que je touche le fond de ma propre fragilité pour que j’entende enfin ce que Dieu attendait de moi. Et que je retrouve la force de me battre aux côtés de ces enfants et de ces familles. Sans aucun moyen au départ, nous avons bâti, éduqué, formé une communauté et, ensemble, nous avons trouvé la force de déplacer la montagne d’indifférence ! Et quelle immense joie d’entendre aujourd’hui un pape – argentin ! – nous appeler à aller vers toutes les « périphéries » de la misère ! « Allez, là où plus personne ne va. Allez, là où des femmes et des hommes, perdent le sens de la vie. » Oui, une prière qui ne mène pas à l’action est stérile. À quoi bon s’agenouiller devant le saint Sacrement si nous ne nous agenouillons pas aussi devant notre frère et notre sÅ“ur qui souffrent ! La meilleure façon de parler de Dieu, c’est d’agir en son nom aux côtés des pauvres. Écoutons et mettons enfin en pratique les paroles de feu du Magnificat : « Il élève les humbles, comble de bien les affamés, renvoie les riches les mains vides ».

– Noël qui approche…

– Une joie immense ! Noël, c’est Dieu qui vient habiter nos pauvretés pour mieux les relever. À commencer par la pauvreté, le dénuement, la fragilité des enfants. Noël, c’est la grande fête de la fraternité humaine, le temps de l’urgence à donner, à se donner, à partager. Dans nos rues, il n’y a pas de guirlandes multicolores ni de vitrines alléchantes. Mais il y a la joie, une joie forte, imprenable. Une joie que, paradoxe des sociétés dites « développées », je ne retrouve pas sur les visages lorsque je marche dans les rues de Paris ou d’une autre capitale occidentale… A Akamasoa, nous préparons Noël dès les tous premiers jours de l’Avent. Nous préparons, avec les enfants, une grande crèche vivante. Et, pendant tout l’Avent, ils chantent la joie de la venue de Jésus parmi nous. Jésus qui naît à Bethléem dans des conditions très modestes, pauvre au milieu des pauvres, c’est soudain le ciel sur la terre, « Dieu avec nous », au plus près de nos combats pour la dignité et pour la justice.

– Lors de la grande messe de la Nativité qui, à Akamasoa, rassemble des milliers de personnes, comment résonne votre cÅ“ur de prêtre ?

– Nous sommes, comme chaque dimanche, près de 10.000 personnes à rendre grâce, pendant trois heures ! La Bible est apportée en procession par près de 200 personnes, presque tout un village ! Mon cÅ“ur alors déborde d’action de grâce : « Merci Jésus d’avoir sauvé ces milliers d’enfants ». Comme à l’auberge de Bethléem, même si nous n’avions plus de place, nous avons continué, pendant toutes ces années à accueillir les hommes et les femmes en détresse, quitte à repousser les murs. L’Esprit a travaillé, mis en mouvement nos cÅ“urs et nos mains. Ces mains indignes du prêtre que je suis qui consacre le pain et le vin et qui, très particulièrement le jour de Noël, entend résonner en lui cette demande pressante du Christ : « Mangez et buvez-en tous ! » Oui, « TOUS ! », à commencer par les plus affamés et les plus assoiffés ! « Le Puissant fit pour moi des merveilles… »

Les maisons en bois

Nous pensions que le temps d’habiter dans les maisons en bois de 3m sur 3 était un temps révolu à Akamasoa.

Il y a 10 ans, en 2006, nous avions préparé un grand repas avec des milliers de personnes pour fêter la destruction des maisons en bois, et leur remplacement par des logements en dur.

C’était 10 ans en arrière.

Aujourd’hui, à cause de l’augmentation de la pauvreté et du nombre de toutes les familles en provenance de la rue qui frappent à notre porte, nous avons dû, contre notre volonté, recommencer à faire des maisons en bois.

Pour deux raisons : pour loger immédiatement ces familles de la rue qui viennent jusqu’à nous ; et, ensuite, pour donner une habitation individuelle à toutes les autres qui vivent depuis longtemps entassées dans les dortoirs communautaires de notre Centre d’Accueil.

Il est de notre désir, en effet, de donner à chaque famille un lieu, si petit soit-il, pour qu’elle ait un chez soi. C’est dans ce lieu intime, particulier, que la famille va retrouver la bonne entente, la solidarité et l’harmonie perdues à cause des années de vie dans la rue.

Ainsi nous avons recommencé à faire ces maisons en bois qui servent de première urgence et où les familles commencent l’apprentissage du vivre ensemble, entre elles et aussi avec leurs voisins. Elles y vivent à 5,6 et même 7 personnes ; dans 9m2, c’est exigu ! Mais c’est déjà mieux que de vivre sur les trottoirs ou les marchés de la ville.

 

Regard en arrière

Autrefois, des milliers de personnes vivaient dans les maisons en bois que nous avions construites sur la colline, à Mangarivotra. Et nous avions remarqué une chose, c’est que malgré leurs habitations de fortune, une grande solidarité régnait entre les familles, une solidarité profonde et authentique.

Ces familles étaient toutes des survivantes de l’enfer, celui des rues, ou de la décharge. Et c’est dans cette extrême pauvreté, dans leur lutte commune pour s’en sortir, qu’elles se sont rendu compte que ce n’est qu’avec les autres frères et sœurs, en se donnant la main, en faisant un corps compact, qu’elles allaient pouvoir faire reculer la pauvreté.

Cela reste une expérience inoubliable pour tous les habitants d’Akamasoa, et fait partie de l’histoire indélébile de notre action.

Aujourd’hui, malgré la construction de villages en dur, d’habitations normales avec une petite cour et un potager, ce temps d’apprentissage, de solidarité, reste dans les mémoires de ceux qui l’ont vécu comme un moment d’une grande intensité humaine, de communauté et d’amitié.

C’est un peu ce que vont commencer à vivre ces familles qui arrivent à leur tour.

 

Un état d’esprit à recréer et affermir sans cesse

Même si de nombreuses familles ont progressé depuis cette époque, évoluant au sein du groupe, chacune possédant une maison individuelle, petite mais sympathique, nous devons tout le temps recréer cette ambiance de solidarité par les réunions de village, les fêtes, les messes, les associations, le travail communautaire de nettoyage de quartier, le sport, les commissions de santé.

Tout cela est indispensable et doit continuer pour rassembler les gens, car la tendance, on le sait et on le voit ailleurs, c’est l’individualisme. Mais pour l’instant, surtout grâce aux associations et à l’Eucharistie, nous tenons encore soudées la communauté et le peuple d’Akamasoa.

Cette bataille pour la solidarité, l’union, l’amitié et la fraternité ne se gagne jamais une fois pour toutes. C’est un combat continuel, parce que l’homme penche vers le moindre effort, l’égoïsme et le chacun pour soi.

Il n’y a que cet idéal communautaire qui puisse servir de barrage et sauver le groupe des dissensions internes. Cet idéal, nous l’avons déjà vécu, et c’est une expérience que nous voulons aujourd’hui transmettre à nos jeunes et aux enfants qui ne l’ont pas connue.

Nous savons aussi que cet effort pour unir les gens s’est fait dans les pays riches et très riches, et que cela doit leur coûter beaucoup d’efforts, et tout cela c’est louable. C’est ce genre d’expériences de solidarité qu’il faut promouvoir, pour unir les humains dans une seule et même famille, où il n’y ait ni exclusion, ni racisme, ni intolérance, ni fanatisme de tout genre, qu’il soit religieux ou politique.

Ici, à Akamasoa, nous faisons cet apprentissage humain à une échelle de quelques milliers de familles, et, avec des hauts et des bas, on avance. Quelques fois avec des tristesses mais aussi, souvent, avec beaucoup de joie.

 

Première étape d’une guérison

Cet apprentissage humain, pour les familles en provenance de la jungle de la rue, il commence dès leur installation dans les logements un bois, en même temps que s’enclenche un processus de reconstruction de la personne et de socialisation.

Les familles commencent par apprendre le respect de l’autre, des voisins, et la vie communautaire. C’en est fini de l’anarchie de la rue ; maintenant, ici, on s’engage à vivre ensemble, c’est-à-dire à se respecter, s’entraider, donner conseils et le bon exemple aux enfants. On commence aussi à abandonner l’alcool frelaté qui court comme de l’eau dans les bidonvilles de la capitale, souvent pour faire taire les souffrances, les drames, mais qui ne procure qu’une plus grande déchéance au réveil.

On apprend l’hygiène, à être propre, et surtout en ce qui concerne les latrines et les douches collectives.

Tout ce qui est collectif et communautaire est en général mal entretenu, ou géré dans l’indifférence. On se dit que c’est l’autre qui nettoiera, pas moi, et ainsi, comme tout le monde pense la même chose, les douches et latrines restent souvent très sales. Ce respect de l’hygiène constitue ainsi un apprentissage capital pour être capable de vivre ensemble plus tard dans un nouveau village.

 

Une prise en charge nécessaire mais lourde

Le tour du propriétaire de ces maisons en bois est vite fait. Chaque construction fait 3m sur 3. Tout est en bois, sauf le toit, qui est en tôle ; le dallage lui est en ciment. Matériel et main d’œuvre compris, une maison de ce genre nous revient à 250€.

Autrement dit, dès le premier l’accueil d’une famille de la rue nous devons prévoir cette dépense, ce que souvent les gens de la ville ou les autorités municipales ne se rendent pas compte lorsqu’elles nous envoient des personnes ; c’est une charge en moins pour elles, mais c’est à nous d’assurer le relogement de ces personnes.

Pour nous, c’est toute une chaîne de problèmes qui commence : il faut d’abord créer une petite maison de premier secours, avec quelques meubles, puis donner un emploi aux parents, avec des outils si nécessaires, et enfin organiser la scolarisation des enfants.

Cela représente un coût important, et explique que je sois obligé d’accepter toutes les invitations qui me sont faites pour témoigner des drames et des aides d’urgences qui sont à fournir immédiatement et quotidiennement, ici, à Akamasoa.

Car ces aides en effet doivent être apportées dans les plus brefs délais, et par le chemin le plus court. Le pauvre qui vient chez nous est déjà accablé par les promesses déçues et les drames. Il a besoin de voir qu’on s’occupe de lui, d’avoir un chez soi et du travail, pour commencer à croire qu’une nouvelle vie débute pour lui. Et ce genre de personnes brisées nous tombent tous les jours sur les bras.

Il est impensable que nous ne prévoyons pas des structures d’accueil et depuis 27 ans nous n’avons jamais cessé d’en créer, en les améliorant peu et peu et le mieux possible, afin que leurs souffrances soient atténuées et que les blessures guérissent.

Et un premier espoir de guérison pour ces familles de la rue qui nous arrivent dans le désespoir total, c’est de voir toutes les autres familles, qui étaient dans le même état qu’elles quelques temps plus tôt, déjà remises, debout, et prêtes à reconstruire leur vie. Cela motive les nouveaux arrivants ; ils se disent : si eux ont réussi à se stabiliser, à progresser, à avoir une vie digne, pourquoi pas nous aussi ?

Nous sommes les premiers surpris d’avoir recommencé à devoir construire des maisons en bois. C’est le drame et la pauvreté actuels qui nous obligent à le faire. Nous espérons que ces logements d’urgence pourront servir comme point de départ d’une vie nouvelle à toutes ces familles et ces enfants que nous accueillons tous les jours à Akamasoa.

 

 

Les héroïnes malagasy

Le travail, c’est la dignité humaine.

Tous les jours, en sortant dans les rues du village d’Akamasoa, je n’entends qu’une seule complainte : « mompera, omeo asa » (mon père, donne-moi du travail).

Ce sont des dizaines d’hommes, de femmes et de jeunes qui quotidiennement me lancent ce cri de secours afin d’avoir un travail, bien sûr rémunéré, et de pouvoir survivre avec leur famille.

Il est vrai qu’en entendant, tous les jours et depuis des années ce cri, à la fin, j’ai fini par avoir peur de sortir dans les villages, sachant à l’avance que chaque fois que je croiserai un homme, une femme ou un jeune,  il me demandera du travail.

Mais en même temps, je me souviens des débuts d’Akamasoa il y a 27 ans, quand les parents qui vivaient dans l’extrême pauvreté, dans la rue et sur la décharge, me demandaient uniquement de l’argent : « mompera, omeo vola » (mon père, donne-moi de l’argent).

Ce sont plusieurs années de formation et de conscientisation réalisées à Akamasoa à tous les niveaux, dans les écoles, les réunions du Fokonolona, les prières et les messes, qui ont été nécessaires pour faire comprendre à nos frères et sœurs de la rue, que pour vivre il fallait travailler, et que pour avoir de l’argent, il fallait d’abord avoir un travail.

La tête quelques fois fatiguée par ces demandes incessantes, je m’écrie : « mais c’est au Ministre du travail que vous devriez vous adresser ! Car moi, je ne suis ni un entrepreneur, ni un chef d’entreprise ! »

Mais je suis en même temps heureux au fond de moi-même, car je sais que ces frères et sœurs, parce qu’ils ne me demandent plus simplement de l’argent, mais du travail, ont retrouvé leur dignité d’êtres humains.

Dieu seul sait le chemin parcouru par ces personnes pour comprendre que vivre dans la dignité, c’est vivre debout, avoir du travail, un logement et l’éducation pour ses enfants !

C’est en tenant compte de l’importance primordiale du travail pour regagner une dignité d’homme, de femme, que nous avons créé à Akamasoa des emplois d’urgence pour donner une occupation à quelques milliers de personnes, afin qu’elles puissent survivre.

C’est le but de toutes mes sorties du pays, de toutes mes tournées en France et en Europe. Où que je sois invité, mon premier souci est de trouver l’aide financière pour que ces hommes et ces femmes puissent continuer à avoir un travail et une petite rémunération à la fin de la semaine, qui leur permettent de tenir la tête hors de l’eau, en attendant des jours meilleurs, lorsque l’Etat prendra à bras le corps la responsabilité de créer des emplois et d’appeler les investisseurs à investir dans cette belle île de Madagascar.

Car il faut le dire haut et fort et le faire savoir : les pères et mères de famille malagasy sont prêts à travailler pour 1 ou 2€ par jour, et souvent dans des conditions difficiles, comme casser la pierre à longueur de journée, construire notre village, nos logements, nos routes pavées, …

Très peu de personnes dans le monde seraient prêtes à travailler pour une si petite somme, qui leur assure juste la subsistance !

Parmi les photos ci-dessous, vous pouvez voir des centaines de femmes, la plupart mères de famille de plusieurs enfants, qui travaillent à Akamasoa, dans le village au bord de la décharge d’Andralanitra, et qui s’occupent de l’assainissement, de l’arrosage des fleurs et du terrain de sport, de la propreté, mais aussi du transport des briques et du sable, lorsque les logements dans nos villages ne sont pas accessibles aux camions.

C’est une main d’œuvre indispensable pour que notre village continue de vivre, de se développer, et pour garder un minimum d’harmonie sociale, et ne pas tomber dans le chaos du chacun pour soi. Et toutes les semaines, ces femmes nous supplient de continuer à faire ce travail qui leur permet de vivre et de ne pas sombrer dans la détresse.

C’est pour cela que je n’hésite pas à accepter toutes les invitations qui me sont faites, pour témoigner du combat contre l’extrême pauvreté que nous menons depuis 27 ans, et je peux dire qu’après des milliers de témoignages, à travers la France et en Europe notamment, auprès des personnes de bonne volonté qui m’écoutent et qui ont du cœur, je ne suis jamais rentré à Madagascar les mains vides.

Maintenant, avec ce moyen qu’est Internet de faire immédiatement savoir nos problèmes, nos difficultés et nos besoins, je n’hésite pas à t’inviter, cher lecteur, chère lectrice, à regarder la photo de ces dames que je montre de la main, et qui sont là dans la cour de ma maison, à 100m de la décharge d’Antananarivo.

Et je n’hésite pas non plus à lancer un appel SOS en faveur de ces femmes qui veulent travailler, pour 1 ou 2 € par jour, pas plus, sous le soleil, dans le froid, dans le seul but de faire vivre leur famille et de donner à leurs enfants la possibilité d’étudier, et de manger un bol de riz.

Car depuis bientôt un demi-siècle, 46 ans précisément, je suis témoin de la sobriété de ce peuple malagasy, et surtout de ces mères de famille qui sont prêtes à s’investir dans n’importe quel travail dur pour donner un avenir meilleur à leurs enfants.

On a toujours dit qu’il fallait aider ceux qui travaillent. Je suis témoin ici que ces femmes veulent travailler, qu’elles aiment leurs enfants, qu’elles ont du courage et qu’elles font montre aussi d’une grande persévérance, parce qu’après avoir entendu tant de promesses jamais accomplies de la part des politiciens, elles travaillent toujours, et y croient encore.

Quel courage et quelle espérance, quelle bonté de ces femmes d’y croire encore après avoir été déçues pour la énième fois !

Ces centaines de femmes devant qui je parle, ne représentent cependant qu’une infime partie des milliers de femmes qui travaillent à Akamasoa. Il y a toutes celles qui travaillent à la carrière, à casser la pierre toute la journée, celles qui font manœuvre dans nos chantiers de construction de logement et d’écoles, celles qui confectionnent dans nos ateliers d’artisanat, et dont vous pouvez voir quelques photos ici.

Devant le grand courage de ces femmes malagasy, nous ne pouvons rester sans réagir ; par leur dévouement et leur obstination elles sont un exemple pour beaucoup sur notre terre.

Je voudrais aussi lancer cet appel et ce défi, à nous qui regardons ces photos de femmes au travail, ces visages marqués par la dureté de l’existence quotidienne, ces sourires pourtant rayonnants. Un geste minime de notre part peut les réjouir pour la vie, la journée, car elle ne se sent pas seule devant cette montagne de problèmes qui envahissent ses jours.

Les rapports sont tellement disproportionnés qu’avec l’argent de poche d’un enfant d’Europe, ces femmes peuvent continuer de travailler, c’est-à-dire pour elles survivre, avoir de quoi manger, un logement décent, et l’éducation pour leurs enfants.

Ce qui ne représente rien pour les habitants de certaines parties du monde, savoir 1€ ou 2, pour d’autres, pour des milliers de femmes malagasy, est une chance de survie, de ne pas mourir complètement isolées et délaissées.

Regardez ces visages, et pensez qu’un geste de votre part est le fil qui pourrait les retenir en vie ; et que ce geste n’est pas fait pour les assister, mais pour leur donner la possibilité de gagner leur vie par un travail, et sauver ainsi leur dignité.

Offrons-leur la possibilité de se battre pour elles et leurs enfants !

Fraternellement,

Père Pedro