Encore l’économie

« La situation économique et sociale de Madagascar n’a pas progressé cette année et on peut même dire qu’elle a encore continué à se dégrader.
 
En politique, on a vu deux changements de gouvernement en quelques mois seulement. C’est sans doute le reflet d’une instabilité politique au somme de l’Etat.
 
Ce sont des mesures d’austérité qui ont finalement été adoptées en lieu et place des mesures d’accompagnement du réajustement structurel. Les organisations caritatives et humanitaires qui travaillent directement au contact des plus pauvres ont été touchées de plein fouet. Le filet de sécurité, qui visait à maintenir les prix des PPN à la portée des plus modestes, était depuis longtemps inexistant, laissant le poids de l’aide sociale reposer entièrement sur les épaules de ces organismes. Et en septembre 1995, ceux-ci se voient privés d’une franchise automatique sur les marchandises importées pour leur œuvre. On aurait pu comprendre que, pressé par les institutions financières internationales, le gouvernement ait dû intensifier sa recherche de fonds. Mais, cette mesure va à l’encontre même d’une volonté d’amélioration de la condition sociale de la population, tant ces ONG se sont depuis longtemps substituées à l’Etat pour apporter l’aide d’urgence aux plus démunis.
 
Par ailleurs, le laxisme ambiant, ajouté à la crise qui précipite toujours plus de familles dans la rue, a favorisé l’apparition d’une insécurité grave (vol, rapt, meurtre, incendie, …) qui s’est soldé à son paroxysme par la disparition du palais du Rova et l’attaque à main armée de nos propres bureaux.
 
Nous avons douloureusement ressenti cet événement qui nous priva d’une semaine de salaire pour 2500 ouvriers. Avec les préjudices cumulés, ce sont 45 millions que nous avons perdus dans l’attaque. La multitude de dons et de messages d’encouragement qui a suivi nous a aidés à relever la tête. Aujourd’hui, même, une partie de la bande est sous les verrous. Cependant, nous nous interrogeons sur la sécurité de nos centres, propres à appâter les malfaiteurs. La survie d’Akamasoa ne peut être mise en péril par cette insécurité. Mais, comment attendre des gestes concrets du gouvernement en matière de sécurité quand on s’aperçoit périodiquement dans les journaux que des personnages haut placés trempent dans ces affaires de banditisme ?
 
Mais le vol existe à tous les niveaux sous les traits de la corruption. Aujourd’hui, une multitude d’employés sont simplement contraints de s’adonner à ce genre de pratique généralisée s’ils veulent survivre. Et ils ne sont guère engagés à rester honnêtes quand aux plus hauts niveaux, également, le détournement de biens publics devient monnaie courante. Dans le meilleur des cas, l’ouvrier qui conserve sa conscience indemne va être menacé par ses collègues corrompus. Face à cet enfer, peu résistent encore et sombrent avec ces derniers. A cela s’ajoute l’absence de 16 base morale d’entreprises qui vont chercher à exploiter au maximum leurs employés, en leur en demandant le plus possible sans avantage supplémentaire. Dans ce contexte, on ne voit pas bien comment le monde du travail pourra sauver les familles de la pauvreté. Il y existe une réelle spirale exploitation – vol qu’il est désormais difficile de rompre.
 
Malgré toutes ces difficultés, l’association Akamasoa continue de s’appuyer sur sa passion et son charisme pour en faire toujours plus pour les démunis de Tana.
 
 
Conclusion
 
Après un tel bilan, on s’étonnera que quelques personnes nous aient conseillé de cesser, même momentanément, l’accueil des familles démunies. Qui prendra la relève ? Car il en faut une : notre œuvre a pour conséquence d’empêcher un certain nombre de jeunes désœuvrés de sombrer dans cette violence, dont nous parlions en introduction, grâce à la responsabilisation. Si nous nous arrêtons, ne verrons-nous pas repartir les faits de délinquance qui empoisonnent la vie quotidienne de chaque citadin ? D’autre part, une vaste frange de la population demeure extrêmement vulnérable aux aléas de l’économie, pouvant basculer du jour au lendemain dans l’enfer de la rue. Alors quel technocrate, voyant les enfants en chair et en os, sous leurs frusques en haillons, demander un peu de secours, aura le courage de les renvoyer à leur vie misérable ?
 
Malgré nos imperfections, que nous essayons de corriger au quotidien, nous disposons d’une structure logistique d’accueil et d’encadrement, une des plus importantes peut-être du pays, qui fonctionne à plein avec succès : plus de 100 volontaires (instituteurs, gestionnaires, chefs de chantier,…), de solides infrastructures (écoles, routes, dispensaires, ateliers, …) et de nombreux moyens de locomotion qui nous assurent une large mobilité. Certes ces moyens deviennent rapidement insuffisants quand le nombre de familles accueillies s’accroît, mais nous cherchons constamment à augmenter nos capacités pour maintenir une qualité d’accueil. Et tout ce travail n’est pas le fruit du hasard et de la chance réunis mais bien celui d’une réflexion permanente du conseil d’administration de notre association. Aujourd’hui, nous pensons que la méthode adoptée est la bonne. »
 
Qui sont ces gens des rues accueillis à Akamasoa ? Des gens détruits par l’alcool, la drogue, le chômage, la violence, des vices qui ne se corrigent pas en quelques années. Des vices qui sont apparus progressivement, sournoisement, dans les viles principalement, et que le pouvoir n’a jamais vu venir. Depuis l’indépendance, on peut dire, le défi de la pauvreté et du désœuvrement n’a jamais été relevé par les autorités ; on a laissé toutes ces familles livrées à elles-mêmes et aujourd’hui encore, alors qu’elles ont pour beaucoup atteint le fond, les mesures d’aide d’urgence se font 17 toujours attendre. L’association a ainsi proposé une alternative aux secours publics et, dès aujourd’hui, on peut constater que cette œuvre fonctionne, les premiers résultats, les premiers changements sont là pour démontrer le bien fondé de nos ambitions. Désormais, avec ces hommes et ces femmes qui ont repris le travail, c’est la nécessité de l’économie, de la gestion des biens que nous essayons d’éveiller en eux. Nous aurons encore de longues heures à passer à expliquer, à démontrer que l’auto-prise en charge passe immanquablement par une prévision du lendemain.
 
Portés par la confiance de nombreux bailleurs de fonds internationaux et d’un réseau dense de donateurs, nous pourrons encore poursuivre ce travail pendant quelques années. Nous bénéficions également de l’appui de plusieurs membres du nouveau gouvernement, dont le premier ministre, qui nous a déjà visités et a toujours soutenu notre action. C’est une condition nécessaire pour pouvoir œuvrer dans un climat serein. Mais cette œuvre n’est pas une solution éternelle et, à notre avis, c’est uniquement le redémarrage de l’économie qui permettra de sauver la totalité des familles perdues dans la pauvreté à Madagascar.
 
Nous profitons de ce rapport pour adresser nos très chaleureux remerciements à tous ceux qui ont, de près ou de loin, soutenu notre œuvre par leur petite ou grande participation. Il est bien impossible de tous les nommer ici, qu’ils sachent cependant que nous ne les oublions pas. C’est grâce à ce tissu si dense de supporters que nous poursuivons toujours un peu plus loin l’expérience d’Akamasoa.