La dignité retrouvée

« Ces dernières années, par le fait de malheurs qui ont agi dans le même sens, la misère s’est abattue sur certaines couches les plus défavorisées de la population de l’île. Brillait encore le dernier espoir illusoire de la grande ville et d’un travail possible à Antananarivo. De toutes parts, du nord au sud, des familles ont afflué vers la Capitale, et faute de solution plus appropriée, les autorités locales de la ville les ont exclues du territoire urbain, il y a cinq ans, et les ont parquées à proximité des décharges municipales d’Ambohimahitsy à l’Est de la ville. Pendant 5 ans, ce lieu a été le théâtre de drames humains qui n’avaient leurs origines que dans la misère la plus noire qui régnait dans les lieux.
 
Des 280 familles parquées là arbitrairement, beaucoup ont été décimées par la maladie ou la mort d’inanition, d’autres sont reparties en ville. La simple humanité ne peut soutenir cette idée que le plus important de la nourriture de ces familles miséreuses était puisé dans les détritus et les poubelles de la ville.
 
Cinq ans après, il restait 114 familles sur ce « triste lieu ». Quelques tentatives d’entraides se sont mises sur pied presque dès le début : l’Eglise Protestante pour sa part est intervenue, et l’Eglise Catholique, aussi bien par l’intermédiaire des Religieuses : St Joseph d’Aoste, Filles de la Charité et de St Vincent de Paul, que par les Religieuses de Tana, Franciscains, Montfortains, Lazaristes, comme aussi les Frères de Mère Térésa.
 
L’évolution d’Ambohimahitsy a eu des aspects divers et des bonheurs inégaux. Pratiquement la ville a pris l’habitude de déconsidérer les habitants de ces lieux et au lieu de leur venir en aide, les considère comme « du rebut », des exclus, la honte de la ville.
 
Louange doit être rendue ici à tous ceux qui contre toute espérance, ont essayé pourtant des bribes de solution et avant tout, se sont engagés à quelque chose.
 
Mais la solution la plus efficace est finalement récente, c’est d’elle et des projets qui en sont issus qu’il convient de dire quelques mots.
 
En mai 1989, une première réunion de tous ceux qui s’étaient déjà engagés à quelque chose a eu lieu chez les Sœurs de St Joseph d’Aoste. Après tous les contacts, il était clair que ces gens qui croupissaient à Ambohimahitsy voulaient travailler. A quelques exceptions près, et qui d’ailleurs sont restées sur place après coup, on n’avait pas affaire à des fainéants, mais à des gens privés d’un outil d’un travail. Beaucoup avaient pratiqué le travail de la terre, étaient disposés à y revenir.
 
Il fallait donc trouver une terre : ce fut la solution qui émergea avec évidence de cette grande première réunion.
J’ai eu l’honneur de rencontrer la chance sur mon chemin. A de hauts niveaux : Ministères, Faritany, les contacts engagés parfois par hasard aboutirent à des projets précis.
 
15 familles, aidées par l’organisme qui venait de naître, rentrèrent dans leurs régions d’origine ; il en restait 99, sur les 114 de départ.
 
Le projet franciscain du Père François aboutit à l’achat de 6 hectares de terre où 6 autres familles pouvaient vivre désormais de la terre.
 
De mon côté, j’ai obtenu du gouvernement 140 hectares de terres abandonnées. Les différents ministères se rendant compte que le projet était sérieux, accordèrent leur sympathie et le soutien sans lesquels rien n’était possible.
Un hommage très spécial est dû aussi à cette collaboration de haut niveau par les chargés d’affaires de l’Etat Malagasy.
 
Le terrain se situe à 60 km au nord de Tana. Les familles ont été installées sur les nouveaux lieux dûment délimités après que tous les accords aient été passés par les autorités de l’Etat et celles des lieux qui acceptèrent sans réticence leurs nouveaux concitoyens frères désormais par la terre et le travail.
 
Les 4 premiers villages furent construits par les hommes eux-mêmes, provisoires, certes, mais propres et dignes, et les pères de familles revêtus de leur nouvelle dignité de propriétaires terriens et de bâtisseurs, reçurent eux-mêmes leurs familles dans les locaux qu’eux-mêmes avaient fait surgir du sol.
 
Quelle promotion ! Les deux premiers groupes de familles furent acheminés à des dates chères à la liturgie catholique et les villages en prirent les noms : CRISTO REI et SANTA MARIA.
 
Le 3ième village évoque par son nom VICTOIRE RASOAMANARIVO, cette chrétienne malgache au courage rare que Jean-Paul II vient de béatifier.
 
Le 4ième village a pour patron le 1er évangélisateur de l’île : SAINT VINCENT DE PAUL, qui envoya ses premiers missionnaires dès 1648 avec une audace qui nous étonne encore aujourd’hui.
 
Les 4 nouveaux villages abritent désormais 70 familles de ces bannis d’antan, qui sont devenus des hommes à présent, grâce à la volonté déterminée de quelques esprits courageux, unis pour faire le bien.
 
Les premiers mois de travail se sont passés dans l’incertitude du lendemain, dans l’angoisse parfois.
Au début, il fallait quasiment mendier des secours jour après jour.
 
Combien de fois des promesses pleines de bienveillance se sont avérées des promesses creuses, sans lendemain. Combien de fois devait-on ressortir humilié soi-même d’une visite qui n’avait pour but que le bien des autres ? Plus tard, les ressources de l’extérieur ont afflué : l’Ambassade du Canada, la Fondation Danielle Mitterrand, le FED tout récemment qui a déjà à son actif des villages modèles pour la restauration de l’enfance, PAM ET CRSNAMANA pour l’école alimentaire.
 
Et sur place, une association s’est fondée, de bénévoles à qui reviendra d’organiser la survie, la gestion et le développement harmonieux de l’œuvre : c’est l’association AKAMASOA. Cette association est constituée par des jeunes couples d’étudiants d’origines très diverses de Tana ou de la Côte, des docteurs, des religieuses, des instituteurs ou des personnes au service de l’Administration.
 
Si nous avons le bonheur de savoir que les forces de la solidarité et de l’amour existent toujours, il faut néanmoins savoir les découvrir et les unir.
 
Un dispensaire assurera la santé des enfants et arrachera les familles aux épidémies meurtrières de jadis. Des ateliers de travail sur fer et sur bois, et de confection, créeront sur place les outils nécessaires et les mettront à la disposition des paysans des alentours. Une école donnera aux petits les rudiments du savoir et de la sagesse, ces moyens essentiels de l’intelligence qui permettent à tout enfant de faire un jour sa place dans le monde et de faire reconnaître sa dignité.
 
Plus tard, peut-être, une petite église dressera son clocher en geste d’action de grâces vers Dieu, et rassemblera d’ici ou d’ailleurs tous ceux qui voudront en être les enfants et qui désireront en recevoir cette dignité définitive d’enfants de Dieu qui couronne si opportunément toutes les autres.
 
Il semble bien que cette dernière valeur fait déjà partie de la mentalité nouvelle de ce peuple, car ils ont appelé d’eux-mêmes leur petite région d’ANTOLOJANAHARY : « Cadeau du Créateur », « Offrande de notre Dieu ».
 
L’œuvre continue. Ne l’arrêtons pas là, pensant que tout est fait. Le plus gros reste à faire et à organiser. Quel encouragement qu’une œuvre de solidarité réussie, pour d’autres manifestations qui feront apparaître mieux encore que tous les hommes sont frères.
 
Sur place à Antananarivo, le long de la voie ferrée, aux coins des rues, des bas quartiers, quelques centaines de familles croupissent encore dans le dénuement. Qui viendra les aider ? Ils attendent eux aussi de l’Etat, des Eglises, et des Organismes existants d’être aidés et de pouvoir devenir des hommes. »