Rien n’a changé dans le pays

« Chers amis, chers bienfaiteurs !
 
Depuis le dernier rapport de 2011 rien n’a changé dans le pays. A Akamasoa, nous nous sommes attaqués, comme nous le faisons depuis des années avec beaucoup de difficultés, à changer la mentalité de nos frères et sœurs ! Il a fallu ensuite responsabiliser les gens, surtout les adultes et les jeunes qui prennent des responsabilités dans leur quartier, leur village et leur pays ! Avec des hauts et des bas nous avançons grâce à l’aide et la confiance que des personnes de bonne volonté nous ont données à travers le monde.
 
La situation à Madagascar se dégrade et on peut lire dans n’importe quel quotidien tous les drames, les vols et les meurtres qui se produisent chaque jour dans la capitale mais aussi dans les campagnes réputées pourtant pour encore garder les traditions des ancêtres. Nous devons nous demander comment et pourquoi nous en sommes arrivés là ? Quelle est la vraie cause de cette situation chaotique et violente en contradiction avec la culture du Fihavanana et de paix du peuple malagasy ? Une des premières raisons c’est que l’on évite souvent de parler des problèmes. Les gens passent leur temps à se louer les uns les autres, sans jamais se dire la vérité. A long terme cela provoque la désintégration de toute la société. Personne n’a jamais rien construit sur le mensonge, « seule la vérité vous rendra libre » nous a dit Jésus il y a plus de 2 000 ans.
 
Depuis l’Indépendance, presque tous les dirigeants qui se sont succédés se sont rués sur l’argent, pas en tant que moyen mais comme un but qu’il faut avoir à tout prix ! Aujourd’hui, il y a tellement de jeunes qui veulent progresser, étudier, trouver un travail et c’est presque un rêve impossible pour eux. Les dirigeants de ce pays n’ont pas vu venir cette incroyable augmentation de la population qui a triplé en l’espace de 40 ans !
Gouverner, c’est aussi savoir prévoir, et ce, dans tous les pays du monde ! Et rien n’a été prévu pour ces enfants et ces jeunes ! Alors imaginez la mentalité individualiste que cette situation a pu produire. C’est toujours le plus fort et le plus astucieux qui progresse, tout en trompant ses frères.
Seule l’organisation effective d’un Etat de droit qui veille sur la justice et la sécurité des personnes et des biens, et qui applique une loi pour tous, peut construire un avenir à ses citoyens. Sans un minimum de discipline, on ne peut pas vivre en société, c’est impossible !
 
Nous pouvons voir comment la culture de l’impunité est présente et consentie en Afrique et à Madagascar, et cela est parfois appuyé par les diplomaties des pays riches et occidentaux, quand cela les arrange.
La CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante) et les Nations Unies ont décidé le 1er août que les élections présidentielles à Madagascar se feraient le 8 mai 2013 ! C’est une bonne nouvelle et tous les citoyens se réjouissent. On ne veut plus vivre dans le chaos, dans cette ambiance morose et sans Etat de droit. En attendant, la corruption continue à tout vent presque dans tous les domaines de la vie de la Nation!
Les Evêques Catholiques de Madagascar, le 16 novembre, ont dénoncé avec force la corruption, le détournement des richesses minières, le manque de courage et l’hypocrisie de certains politiciens.
Ils appellent à la vraie conversion et à vivre avec une conscience pure qui nous mènera à la vérité.
L’Etat a toujours manifesté son impuissance dans la maitrise des tensions dues à la corruption, et l’insécurité qui secoue la partie sud de l’île avec le phénomène des « dahalos » (bandits et voleurs de zébus) devient un problème majeur. Dans ce phénomène il ne faut pas seulement chercher une explication politique mais surtout une explication sociale, économique et culturelle !
 
Le Peuple est lassé par les dictatures successives. Le soulèvement populaire en 2009 voulait le vrai changement …C’est bien connu que tous les politiciens veulent parler au nom du peuple malgache ! Mais le Peuple Malgache souhaite une seule chose, avoir un emploi, un logement digne, pouvoir se soigner, vivre dans la paix et pouvoir préparer un avenir à ses enfants ….
 
Aujourd’hui on encourage la population à « cultiver un esprit d’autodéfense »… Au début du mois de septembre, il y a eu plus de 100 « dahalos » tués ainsi que des gendarmes et policiers.
Les victimes de cette situation désespérante, du point de vue économique et sécuritaire, sont surtout les femmes. Elles doivent toutes seules assumer la responsabilité de leur foyer et faire vivre leurs enfants, parfois nombreux, et beaucoup d’adolescentes sont contraintes d’abandonner l’école pour diverses raisons.
 
Certains fonctionnaires de l’Etat sont sans état d’âme et sans scrupules. Ils profitent des pauvres gens qui ne connaissent pas les procédures administratives et leur extorquent de l’argent. 64 % des adultes malgaches ne savent ni lire ni écrire. La vulgarisation de l’information et l’éducation citoyenne laisse à désirer ! Il faut conscientiser les citoyens de ses droits et de ses devoirs. Même la religion est instrumentalisée par quelques politiciens qui clament haut et fort leurs « générosité » lors des rassemblements de jeunes chrétiens qu’ils veulent rallier à leur cause. Heureusement que ces derniers sont assez malins pour ne pas tomber dans leur piège.
L’administration malgache est la gangrène et la maladie qui empêche le décollage économique dans le pays ! Dès que l’on commence une procédure, on en a pour des semaines pour obtenir satisfaction. On perd du temps et de l’argent.
Nous cherchons l’espérance et l’optimisme, dans l’évangile, dans la foi, dans les visages souriants de nos milliers d’enfants scolarisés, dans les regards des pauvres mères, des familles abandonnées et de tant de personnes âgées qui veulent finir leur jours dans la paix. C’est en eux que nous trouvons l’espérance, la force et la volonté de lutter pour le bien commun de tous.
 
Conclusion – le travail continue…
 
Forts de notre expérience de 23 ans de travail au quotidien parmi les plus pauvres, nous devons continuer à relever les défis de la pauvreté et de la misère qui ont leur cause dans l’égoïsme, l’ignorance, la corruption, le laisser aller et le profit immédiat.
 
Il n’est jamais facile d’aider les plus démunis et les exclus d‘une société, qui ont perdu confiance en eux-mêmes, à se sortir de leurs conditions. Néanmoins avec la conviction que la vie est un don de Dieu pour servir une cause commune, nous devons vaincre le pessimisme pour nous projeter dans l’action juste et solidaire pour sortir nos frères de cette prison qui les enferme dans une vie dramatique et inhumaine.
 
Face à l’indifférence des responsables politiques et du laisser aller de la plus grande partie de la population, nous devons créer des « oasis » d’espérance pour dire aux jeunes générations, que la pauvreté n’est pas une fatalité et qu’il n’y a aucune force invisible qui empêcherait l’être humain de sortir de son carcan, de son petit monde égoïste et de sa peur qui l’empêche de progresser.
 
La fatalité n’existe pas pour celui qui croit à l’amour, à la fraternité et au partage. A Akamasoa, nous avons réussi pour des dizaines de milliers de personnes à vivre dans ce nouvel esprit de fraternité et de partage. C’est vrai que c’est une goutte d’eau dans l’océan de la pauvreté, mais une goutte qui a une force de témoignage, qui a le mérite d’exister !
 
Chers amis à travers le monde, vous qui croyez à ce monde nouveau, vous qui avez le même idéal pour que la vie soit meilleure pour chacun, faisons en sorte que ce rêve soit possible pour cette nouvelle année 2013 ! Je vous demande de rester avec nous dans ce combat pour la dignité des plus démunis. Nous n’avons aucune autre force pour vous persuader que notre amour, notre engagement, notre vérité et notre sacrifice quotidien sont pour servir, accueillir et écouter nos sœurs et frères pauvres qui cherchent tous les ans auprès de nous un secours, un accueil et une main tendue. Grâce à Akamasoa et à nous tous, ils pourront commencer une nouvelle vie avec leurs enfants qui sont la priorité de notre engagement social et humanitaire. Ce que nous venons de présenter ce n’est pas une utopie, mais un travail concret de tous les jours, tangible et réel qu’on peut voir et même toucher avec ses mains. »